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Mon itinéraire : de l’accompagnement des malades à la reconnaissance de l’expérience du patient

Journal de bord

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Habilitation à Diriger des Recherches - HDR

27/03/2023

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Je présenterai donc des travaux issus d’une pratique d’intervention, d’un travail d’élaboration, d’une pratique clinique, et d’autres qui ont été explicitement construits à des fins de recherche et de production de connaissances. Il ne s’agit pas de juxtaposer des synthèses de ces différents types de travaux, mais de voir en quoi les différentes démarches, mises en œuvre et certains résultats, m’ont permis d’éclairer des questions de connaissance et d’intervention posées par l’accompagnement, au carrefour de l’éducation et de la formation des adultes, lorsque celui prend naissance dans des contextes comme la maladie et que les principaux acteurs qui y sont impliqués agissent dans les situations à haut risque d’incertitude et de morbidité. L’argument central de mon parcours et donc des travaux qui en découlent, autant en termes de pratique que d’options de recherche, est que la maladie est une catégorie particulière de situation d’incertitude, qui donne lieu de fait à une organisation et au déploiement d’activités humaines, qui ont pour objet « le maintien de soi en vie », concept que j’ai développé récemment afin de dessiner de nouveaux axes de recherche, que je présenterai dans la quatrième partie de ce texte. J’ai d’abord travaillé pendant 20 ans dans le champ du sida et j’ai transposé à partir de 2005 mes travaux dans le domaine plus large des maladies chroniques graves. Ceci en soi constitue un des éléments majeurs de mon parcours et de mes travaux.

Dans la hiérarchisation et la mise en compétition des activités humaines, je n’ai pas trouvé de définition ayant trait aux modalités d’exercice de cette activité singulière, qui consiste pour un sujet humain vivant à exercer, à partir du maniement d’un ensemble d’instruments et d’objets singuliers (médicaments), un ensemble d’activités caractérisées par de nombreux usages de soi n’ayant à ce jour encore jamais fait l’objet d’aucune valorisation sociale, au même titre que toute autre activité de production ou de maintien de ses forces de reproduction. En ce sens, l’intégration obligatoire de l’éducation des malades dans le parcours de soin des malades chroniques, depuis la loi de santé publique de 2010, ouvre au champ de la formation des adultes une opportunité historique pour transformer l’éducation des malades comme champ de pratique en champ de recherche. Le travail que je présente aujourd’hui se veut une des contributions à ce champ de recherche en émergence.

Il va de soi que cette note de synthèse n’a pas pour objet le sida, mais que ce dernier prend la place d’un objet qui permet de voir comment, à propos de la trajectoire de vie d’un sujet exposé à une maladie, ses besoins en termes d’accompagnement évoluent en fonction de sa situation somatique médicale, mais aussi de l’environnement dans lequel il peut ou non exercer ses capacités à se maintenir en vie ou dans une santé optimale.Cela ouvre des perspectives cliniques, mais aussi de recherche sur les modalités de théorisation de l’accompagnement, en mettant l’accent sur ses composantes dynamiques et les aménagements constants qu’il suscite, à la fois sur son versant clinique, mais aussi sur son versant métapsychologique et théorique. En cela l’accompagnement, dans le cadre du suivi et de l’éducation des malades, devient un modèle développemental, qui suit la progression vitalo-somatique d’un autrui, qui n’est jamais le même. Il ne s’agit pas dans ce travail de plaider en faveur d’un courant théorique ou clinique dans l’accompagnement des malades. Il s’agit de voir comment théoriquement ce champ a hérité d’une transposition de grilles d’intelligibilité issues de la médecine, de la psychologie, de la philosophie, de la sociologie, sans que cette transposition soit aussi clairement exposée et mentionnée ou que les problèmes qu’elle pose soient traités.

L’intérêt du sida, malgré ses aspects humains catastrophiques, a été l’occasion d’une remise en question des paradigmes qui fondaient, légitimaient et justifiaient un ensemble de pratiques professionnelles qui se présentaient comme des rationalités scientifiques, alors que ces pratiques, dont l’accompagnement des malades, constituent des pratiques sociales qui participent à une tentative de gouvernement des conduites humaines.

Si j’ai acquis dans ma formation initiale des certitudes, je termine ce travail d’HDR en reconnaissant que j’ai dû les interroger plus d’une fois et traverser des états de doute maximal pour pouvoir continuer à penser, à agir, et à réagir face à des situations assez inédites. Ce sont ces expériences singulières qui m’invitent aujourd’hui à proposer quelques idées, dont certaines ont émergé au décours même du travail requis par la rédaction de cette note de synthèse. Par ailleurs et je tenterai de m’en expliquer j’ai dû aussi me démarquer des théories disponibles, à certaines époques où j’agissais, parce que les terrains sur lesquels j’intervenais étaient des terrains encore impensés comme terrains d’exercice d’une pratique et ce autant dans la clinique de l’accompagnement que dans le champ de la formation. La position que j’ai occupée en sciences de l’éducation est assez particulière : toute ma carrière s’est déroulée sur le terrain du soin, de l’aide et de l’éducation d’un public qui n’est pas le nôtre a priori : des sujets malades aux prises avec les aléas du désir d’accès à tous les savoirs disponibles nécessaires à leur survie. Mes théorisations n’ont jamais été coupées de la réalité, dans la mesure où elles ont été conduites à partir d’une pratique d’intervention psychosociologique, d’une pratique clinique et de la conduite de recherches portant sur des activités conduites en situation de soin, sachant que ces dernières englobent les acteurs de santé, mais aussi les malades. Ce terrain, qui a été le mien, a eu pour effet de me confronter à un sentiment de vulnérabilité en termes de pensée à produire, au sens où j’ai dû renoncer à vouloir tout comprendre dans des situations qui exigeaient paradoxalement de ma part un effort de penser autrement et de percevoir autre chose que ce qui m’était donné a priori à voir, afin de pouvoir continuer à agir pour penser et penser pour agir.

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