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L’expérience des Etats-Unis

Journal de bord

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Habilitation à Diriger des Recherches - HDR

27/03/2023

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Ayant exercé une activité de clinicienne, d’enseignante et de chercheure pendant huit ans aux États-Unis (1996-2004), j’ai été confrontée à des échos différents sur des problèmes analogues qui se posaient au même moment des deux côtés de l’atlantique, comme par exemple la place accordée aux minorités dans les instances gouvernementales, la montée en puissance des recherches communautaires, la formation des malades et bien entendu la tragédie du sida. Bénéficiant d’une double lecture des mêmes événements, cela m’a aidée à m’affranchir et me libérer à la fois des conformismes disciplinaires et aussi des exigences institutionnelles, lorsque celles-ci devenaient des obstacles aux engagements que je désirais tenir. Ayant maintenu jusqu’à ce jour mon immersion dans la culture anglo-saxonne, je continue à utiliser ce double regard, qui me permet souvent de voir, que ce qui est proposé comme une solution d’un côté de l’atlantique est posé comme un problème de l’autre côté.

J’ai hérité lors de ma formation initiale d’un savoir, de théories et de concepts peu opérationnels pour traiter des questions comme la mort, la maladie, l’exclusion des plus vulnérables et bien entendu la tragédie du sida. Ce sont donc à partir d’espaces inconnus que j’ai tenté de produire des connaissances. Ce mouvement de l’inconnu vers le connu étant par ailleurs le mouvement qui qualifie l’essence de toute démarche de recherche et aussi de la pratique analytique, je dois à celle-ci la force qu’elle m’a donnée pour ne jamais cesser d’apprendre et d’essayer de comprendre ce qui se joue chez l’être humain, chaque fois qu’il est confronté à la vulnérabilité de sa condition.

Dans la mesure où mes travaux sont ancrés dans des pratiques plurielles, il va de soi que la reconstruction des paradigmes théoriques, qui les ont nourris, nécessite un retour en arrière parfois problématique.
À ce titre, dans la mesure où il me revient aujourd’hui la tâche de réaliser une synthèse de mes travaux, il est important de mentionner d’emblée que mon objet de recherche « l’accompagnement des malades » est fortement adossé à une pratique d’acteur du champ qui s’est déployé à l’intérieur d’un itinéraire de clinicienne, conduit sur une trentaine d’années, mais aussi à une pratique de chercheur. J’ai travaillé pendant plus de vingt ans à la création d’une clinique de l’accompagnement dans le champ du sida. J’ai nommé cette pratique clinique « counseling » de manière à l’ancrer historiquement dans l’histoire mondiale des courants de la relation d’aide et éviter que cette pratique ne soit noyée dans ce que Maela Paul appelle « la nébuleuse de l’accompagnement » (2009, p. 91). J’ai volontairement utilisé le terme de counseling parce que cette pratique a été introduite officiellement dans le champ du sida quand l’épidémiologie a établi clairement les modes de transmission de l’infection par le VIH.

En effet, à partir du moment où il a été posé que la plupart des moyens de prévention dépendaient des attitudes et des comportements des individus et des groupes sociaux, le counseling a été promu par l’OMS comme une démarche susceptible de contribuer à la prévention.
Ainsi en 1989, l’Organisation Mondiale de la Santé recommandait que toute intervention sur le sida comporte des actions de counseling, avec comme objectifs l’aide aux personnes malades et d’en promouvoir la prévention. En France, le counseling a été introduit officiellement dans la prévention seulement en 1992*, alors que celui centré sur l’aide aux malades a été introduit par les associations de malades dès le début de l’épidémie en 1985. En effet, la non-acceptation des malades et l’inadaptation des institutions de soin dans leur réponse aux besoins psychologiques et sociaux des personnes séropositives et malades ont conduit les associations à développer, par leurs propres moyens, des services d’aide et de soutien adaptés aux situations tragiques causées tout autant par l’épidémie que par les réactions sociales à cette dernière. Le counseling devait réaliser deux tâches : prévoir l’extension de l’épidémie et assurer le soutien des personnes séropositives et malades. En faisant coexister ces deux objectifs l’OMS mettait ainsi en jeu les deux strates historiques du counseling, celle de l’origine du counseling (JB Davis, 1898 Détroit, USA ; F. Parsons 1908, Boston USA) défini comme une forme de guidance éducative et celle de l’acception moderne du counseling qui, à partir de la publication de « Counseling and Psychotherapy » de Carl Rogers en 1942**, donnera une orientation thérapeutique au counseling et l’ouvrira du côté de la psychologie clinique et des groupes. Les deux strates historiques du counseling se sont retrouvées dans l’épidémie, la première dans la prévention et ses corollaires (éducation, information, dépistage), la deuxième dans le soutien des personnes séropositives et malades et ses corollaires (counseling pour l’aide à la prise des traitements, aide aux malades, counseling en fin de vie). On voit donc déjà comment le counseling comporte des aspects de soutien, mais aussi des aspects de prévention et d’éducation dans ses configurations, ses attendus et ses valeurs. Par ailleurs, mais cela fera partie de mes propositions au champ de l’éducation des malades comme nouvel enjeu dans la formation des adultes, j’essaierai de montrer en quoi une clinique déployée dans une situation spécifique comme celle du sida peut en retour être d’un apport considérable aux courants de la relation d’aide et bien entendu peut être transposée dans le champ des autres maladies chroniques. J’ai commencé ce travail de transposition à partir des années 2005 en travaillant en néphrologie***. Cela m’a permis de découvrir à quel point au-delà du lien, de la posture, et des modes d’intervention, la priorité de la transposition portait sur les choix éthiques et les modèles théoriques mobilisés. Ces choix concernent la conception du sujet à laquelle on se réfère, le registre des activités humaines qu’on décide de prendre en compte, la théorie du lien social convoquée, les finalités qu’on attribue au développement humain, les usages du concept de vulnérabilité auxquels on se réfère, la place qu’on donne à la construction et aussi à la contribution de l’expérience dans la production des connaissances et la construction de l’expertise collective.

Il s’agit donc, tout au long de ce travail, de mettre en objet à la fois mon parcours, les constats et analyses que j’en fais, et les constructions pour l’action et pour la compréhension que je propose. On verra comment ces dernières ont donné lieu à la conception de déconstructions explicatives, car pour toute recherche en intelligibilité, mais aussi pour toute recherche ayant trait à la clinique, on peut isoler deux types de questions qui se rejoignent et peuvent s’énoncer ainsi : Comment cela marche ? Comment cela se fait ? Sachant qu’il s’agit là de deux questions qui expérimentent leur propre complexité, dès lors qu’elles s’appliquent aux processus psychiques, à des processus sociaux, des processus formatifs, des processus vitaux, lorsqu’il s’agit de maladies. M’intéressant délibérément à l’accompagnement des malades chroniques et à la construction de l’expérience de la maladie à l’occasion de l’activité déployée pour se maintenir en vie, mon champ de recherche comporte des enjeux sociaux et théoriques portant sur le concept même d’accompagnement de sujets aux prises avec une vulnérabilité biologique, mais aussi sur la proposition d’une redéfinition de ces concepts, à la lumière d’un itinéraire de recherche, dans lequel j’ai expérimenté la recherche comme un processus où travail de terrain et travail théorique s’articulaient dans un va-et-vient constant. Pour des raisons de clarté et de visibilité, je tenterai dans la première partie, qui vise à retracer mon itinéraire, de distinguer ce qui relève de mon itinéraire de clinicienne et ce qui relève de mon itinéraire de recherche au sens où l’accompagnement ne prend pas le même sens quand on se place du point de vue de la clinique ou du point de vue de la recherche. Ensuite je consacrerai la deuxième partie à l’analyse des conceptions sociales et théoriques qui bordent, alimentent ou posent question dans le champ de l’accompagnement et de l’éducation des malades, tout en montrant les points aveugles et les questions qui restent en suspens. La troisième partie proposera une première analyse de mes contributions au champ, ainsi que les constructions théoriques que je propose. La quatrième partie exposera quelques retombées sociales et propositions issues de mes travaux. Enfin je terminerai ce travail par un exposé des retombées des précédentes parties pour la recherche en proposant et en présentant des axes de recherche, en cours et pour l’avenir, sur les questions restant à traiter et à mieux comprendre dans les années à venir dans le champ de la formation des adultes.

 

* J’ai été invitée en tant qu’expert à participer à la rédaction de cette circulaire.
** Traduit en français par “la relation d’aide”.
*** Maladies rénales chroniques et techniques de suppléance rénale comme la dialyse et la transplantation. Les malades des services de néphrologie sont pour 30% d’entre eux diabétiques et on y observe une haute prévalence de maladies cardiaques et une grande vunérabilité sociale liée au vieillissement dans la maladie.

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