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Visite de l’orphelinat « main dans la main », Douala

Journal de bord

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20ans dans la lutte contre le SIDA en Afrique

11/04/2003

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Un samedi matin d’avril 2003, j’effectue une visite à l’orphelinat de Douala qui s’appelle «Main dans la main». Je suis reçue par la Directrice qui a une formation de sage-femme puéricultrice et qui est à deux ou trois ans de sa retraite. Je lui explique que mon travail consiste à conduire des entretiens avec des personnes touchées, des familles mais aussi des familles d’accueil et des institutions pour évaluer les besoins suscités par la situation des orphelins du SIDA et recueillir un certain nombre de suggestions.

La directrice m’emmène dans son bureau et m’invite à passer toute la matinée dans son orphelinat qui est un établissement de 45 places qui reçoit des enfants de la naissance à 21 ans.
Les abandons d’enfants et les placements à l’orphelinat ont plusieurs causes :
le décès des parents, les divisions et les conflits dans les familles, les mauvais sorts qui obligent une famille toute entière à devoir se débarrasser d’un enfant dont la survenue ou le maintien dans la famille est à l’origine «de toutes les calamités». Je ne comprends pas bien cette dernière cause de placement. La Directrice me donne alors l’exemple du petit garçon R. : «Cet enfant (…) ce sont les volontaires du Progrès français qui nous l’ont apporté alors qu’il était encore petit. Il souffrait de drépanocytose et le sorcier a dit à ses parents que cet enfant avait commencé à boire le sang de sa petite sœur qui avait la même maladie, donc qu’il fallait le jeter… Les parents l’ont donc enduit de gris-gris, d’onctions et sont allés le jeter au bord d’un ruisseau.

Le sorcier leur avait dit : «Jetez l’enfant, c’est un mauvais enfant, il va redevenir un serpent et il va s’en aller». Les volontaires du progrès français qui allaient piqueniquer aux environs ont commencé à entendre des gémissements quelque part, et ils ont trouvé cet enfant exsangue, ils l’ont amené ici en urgence. On a commencé à suivre cet enfant, et maintenant il se porte bien, c’est un miracle pour nous.

Une de nos pupilles a été jetée derrière l’hôpital, c’est le gardien de l’hôpital qui l’a trouvée dans une poubelle, on lui a trouvé un prénom Alice, c’était un bébé qu’on a dû nourrir d’abord avec une sonde mais maintenant, vous allez la voir, elle a besoin d’une opération, mais elle va bien… Elle a bien repris, j’ai trouvé une femme d’Espagne qui veut l’adopter… On attend la réponse du consulat Espagnol et le procureur de la république est déjà intervenu, allez la voir…»

Alice
Je propose en effet à la Directrice qu’on aille faire une visite aux enfants, j’ai besoin de souffler et de rencontrer le regard de ces enfants dont on vient de me faire le récit de vie. Cela me permettra aussi de voir comment la vie en orphelinat est organisée. Je rencontre donc la petite pupille âgée de quelques mois qui a été trouvée à l’hôpital. Elle a une petite boucle d’oreille qui ressemble à un piercing. La Directrice me parle en sa présence de sa future maman qui est une infirmière qui vit en Espagne et qui l’attend avec impatience. Elle a déjà pris tous les rendez-vous avec un service de pédiatrie à Madrid et elle essaie d’activer le consulat car l’intervention ne doit pas trop tarder.
L’orphelinat reçoit pour cette petite fille des vêtements, de l’argent et, ajoute la Directrice «Cette femme n’oublie pas non plus les autres enfants que nous avons ici, heureusement que nous avons des personnes comme cette femme qui nous aide, on ne reçoit pas assez de moyens de l’état». Je lui demande comment elle fait face à tout cela. Elle me répond : «J’ai été souvent choquée dans ma fierté d’africaine et de camerounaise en particulier, je sais que nous sommes un peuple qui aimons les enfants et nous sommes plutôt natalistes mais dans certains cas, comme ceux dont je vous parle ici, j’ai été choquée… oui vraiment choquée.»

La directrice me présente les enfants qui, dit-elle, sont «les vôtres, l’objet de votre visite, les orphelins du SIDA». On sort dehors, il y a là un petit groupe d’enfants assis autour d’une grande table qui sont en train d’étudier avec leurs crayons, leur papier et du petit matériel d’enfants scolarisés. Elle m’explique «On cache souvent à l’enfant la cause de décès de ses parents, cela crée des problèmes de famille car l’enfant croit que des membres de sa famille ont empoisonné les autres, de plus ces enfants nous sont amenés là car personne n’en veut plus, les gens n’ont pas de moyens pour les nourrir et les habiller, d’autres ont peur que ces enfants amènent la maladie dans la famille, alors ici on leur explique ce que c’est que le SIDA, on ne veut pas les entretenir dans les histoires de sorcellerie»

L’orphelinat les nourrit, les loge, les habille et prend en charge leur scolarité.
La directrice est fière des réussites de certains enfants : un jeune de 18 ans est
apprenti, une jeune fille est partie à Yaoundé faire des études, des jeunes ont été mis en contact avec des petites entreprises qui les ont embauchés, une éducatrice a adopté un des enfants, une stagiaire du Canada a organisé des parrainages avec plusieurs enfants.

Les orphelins à cause du SIDA arrivent souvent après le décès du dernier parent survivant. «Les enfants arrivent souvent en mauvais état, malades pas forcément du SIDA, dénutris, en haillons. C’est vraiment lorsqu’il n’y a pas d’autre solution qu’on nous amène les enfants et les enfants sont victimes de la misère dans laquelle les laisse la disparition de leurs parents. Des grands mères qui tombent malades et qui ne peuvent plus s’occuper de leurs petits enfants sont obligées de venir placer les enfants à l’orphelinat».

La directrice a invité des représentants légaux des familles à venir s’entretenir avec moi ce matin, elle m’indique que plusieurs femmes m’attendent déjà dans son bureau.

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