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Théoriser l’expérience vécue de la présence dans l’accompagnement des malades

Journal de bord

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Habilitation à Diriger des Recherches - HDR

20/04/2023

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L’accompagnement des malades, pour les professionnels formés aux usages classiques de la psychanalyse et la psychothérapie, est un problème, car il bouscule les règles qui régissent le vécu transférentiel et contre transférentiel qui par essence a trait aux modalités de la présence à autrui. La lecture des travaux des psychothérapeutes et psychologues cliniciens travaillant en oncologie, qui est le domaine le plus avancé dans les publications théoriques sur l’accompagnement, notamment avec le développement d’une spécialité reconnue et nommée « psycho-oncologie », conduit à faire plusieurs constats en ce qui concerne « les théories de la présence » mobilisables dans l’accompagnement des malades. Tout d’abord il est important de rappeler que la présence du thérapeute se distingue dans sa présence et son accompagnement de celle du médecin. En effet, le traitement procuré par le médecin relève dans nos sociétés occidentales d’un « modèle exorcistique » visant à délivrer la personne du mal et chasser les démons (Laplantine, 1986) en engageant une guerre contre la maladie. Le type de présence qui en découle est une posture de combat. La présence du thérapeute au contraire selon Frick (2006, p. 489), s’inscrit dans un « modèle adorcitique » dans lequel la maladie est considérée comme un élément biographique et donne lieu à une histoire relationnelle entre le psychothérapeute et son patient qui diffère de celle qui s’exerce entre le médecin et le patient. En contrepartie, on observe souvent une remise en question de la présence de tout type d’accompagnateur qui s’exprime sous la forme : « À quoi bon vous parler, à quoi bon vous laisser venir me voir, vous ne changerez rien à ma maladie ? ». Le type de présence requis nécessite d’emblée, dans ce type de situation, l’adoption d’une posture acceptant d’accueillir cette déception. Mais le type de présence du malade à sa propre maladie mobilise chez lui un travail cognitif, émotionnel et imaginatif intégrant à la fois la perte et ouvrant à de nouvelles perspectives de vie. Or cette mobilisation n’est possible que si le mode de présence proposé s’inspire d’une clinique mobilisant une pensée psycho dynamique (Frick, 2006). Il ne s’agit pas d’enseigner au malade des stratégies cognitivo-comportementalistes d’adaptation* visant son adhésion aux normes médicales et comportementales attendues de lui, comme le démontre Anselm Strauss (1963) dans « l’hôpital et son ordre négocié »** et encore plus quand il écrit*** (1965) que le malade, dès lors qu’il sait qu’il va mourir, doit montrer aux soignants un « moi mourant convenable ». Ce sont bien entendu les théories normatives qui mettent en général l’accent sur « le travail du deuil » en opposition à une autre démarche visant à lui substituer « le travail de sens ».

 

Ce qui différencie également le médecin du praticien de l’accompagnement, c’est la manière d’écouter, mais plus encore la manière d’entendre et de déchiffrer ce qui est de l’ordre de la plainte à laquelle dans la relation d’accompagnement, il n’est pas toujours utile de chercher à répondre. La présence n’est pas un savoir ou un savoir faire, elle n’a de sens que si elle est une expérience vécue et partagée. Elle est l’expérience d’une rencontre entre deux personnes qui a pour conséquence de privilégier un dialogue, dans lequel on ne parle pas à quelqu’un, mais avec quelqu’un.

La présence pour les auteurs des thérapies existentielles est théorisée comme une capacité à recevoir l’autre de façon active et libre. Il ne s’agit en aucun cas de s’interroger sur le sens de la vie de ce malade, mais plutôt pour le thérapeute de se demander ce qu’il est encore possible d’envisager avec ce malade, en lui demandant à lui aussi quel type de présence il désire de notre part, et aussi quel type d’écoute. Ainsi Matray (2005) propose un modèle d’accompagnement fondé sur le partenariat, une relation entre égaux malgré la dissymétrie engendrée par la maladie dans le respect mutuel, afin de permettre au malade et à ceux qui l’entourent de « faire société ».

 

Mobiliser plusieurs modalités de présence

 

L’accompagnement est une activité qui mobilise plusieurs modalités de présence à l’autre. Les accompagnants ne commencent pas leur activité seulement à l’arrivée de l’autre dans un espace d’écoute et d’accompagnement. La présence se définit souvent, dans le counseling centré sur la personne en mettant l’accent sur ses trois composantes : la disponibilité et l’ouverture de l’expérience vécue de l’autre, l’ouverture à sa propre expérience avec l’autre et la capacité à réagir à l’autre. Les auteurs rogériens insistent sur les dimensions de la présence et ils en identifient trois, (1) la préparation, (2) le processus (ce qui se passe) et (3) l’expérience (le vécu). La préparation renvoie à ce qui se passe avant l’entretien, elle est un temps incontournable, elle a à voir avec ce que l’accompagnant fait pour créer un espace de disponibilité, y compris le prendre soin de soi qu’il s’applique à lui-même. Elle a à voir aussi avec les modalités choisies par l’accompagnant pour aller vers autrui et se présenter à lui. Le processus désigne l’ouverture de sa propre expérience à la personne. Il comprend tout ce que l’accompagnant fait, tout en étant présent sous une forme thérapeutique, pour permettre de réunir les conditions partagées d’une valeur positive de l’expérience de soi à deux. Cela suppose une haute fidélité de l’accompagnant à son expérience subjective et donc une reconnaissance des sentiments négatifs qu’il éprouve dans l’ici et maintenant de la rencontre, y compris les sentiments défensifs qu’il ressent. L’exigence est celle d’une attention interne à soi en tant qu’outil, une réceptivité sensorielle et corporelle et le maintien dans le moment présent en réduisant la distance à la présence immédiate. L’expérience de la présence nécessite pour l’accompagnant une capacité à rester centré sur l’élément d’ici et maintenant de la présence. Être en état de présence, c’est ressentir un espace intérieur élargi. La force essentielle du counseling tient à l’importance accordée à l’expérience de la présence partagée, à la minimisation de l’usage des techniques, à la réduction de l’usage d’un rôle professionnel utilisé comme défense et au renoncement au recours à des impératifs techniques pour ne pas s’exposer à exprimer des besoins personnels.

 

Penser le monde du point de vue de l’autre ne peut être exclusif d’un éprouvé, d’une tentative de compréhension mobilisant des affects et c’est le partage de ces affects ou l’acceptation de ces affects dans la rencontre qui est mis à distance dans les courants traditionnels de la clinique médicale. On aide quelqu’un à mobiliser en lui les ressources dont il dispose pour résoudre ses problèmes, mais on ne partage pas d’autres ressources avec lui que sa propre expertise, ses propres capacités d’interprétation ou d’intervention sur autrui. Pourtant en cherchant ce qu’il y a en lui, et en faisant le travail de l’exposer dans la rencontre qui se joue entre elle et nous, la personne nous donne à voir une part de l’humanité, donc une part de notre condition qui nécessite une levée des barrières et des apartheids de nos statuts asymétriques, car on ne peut pas se sentir accepté si la première condition de l’acceptation réside dans une posture dont l’un seulement a le droit de doser la distance, l’intensité de la durée de l’être ensemble.

En ce sens on peut dire au niveau épistémologique que l’accompagnement revient à accepter de penser les sentiments comme des faits ce qui suppose qu’ils ne sont pas tant des objets de connaissance que des objets de compréhension.

 

* C’est malheureusement ce qui est proposé dans les recommandations officielles qui orientent la pratique de l’éducation thérapeutique (Haute Autorité de Santé, 2009).

** Titre d’un article d’Anselm Strauss.

*** Avec B.Glaser, Awareness of dying, 1965, London, p.76-106.

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