La présence pour les auteurs des thérapies existentielles est théorisée comme une capacité à recevoir l’autre de façon active et libre. Il ne s’agit en aucun cas de s’interroger sur le sens de la vie de ce malade, mais plutôt pour le thérapeute de se demander ce qu’il est encore possible d’envisager avec ce malade, en lui demandant à lui aussi quel type de présence il désire de notre part, et aussi quel type d’écoute. Ainsi Matray (2005) propose un modèle d’accompagnement fondé sur le partenariat, une relation entre égaux malgré la dissymétrie engendrée par la maladie dans le respect mutuel, afin de permettre au malade et à ceux qui l’entourent de « faire société ».
Mobiliser plusieurs modalités de présence
L’accompagnement est une activité qui mobilise plusieurs modalités de présence à l’autre. Les accompagnants ne commencent pas leur activité seulement à l’arrivée de l’autre dans un espace d’écoute et d’accompagnement. La présence se définit souvent, dans le counseling centré sur la personne en mettant l’accent sur ses trois composantes : la disponibilité et l’ouverture de l’expérience vécue de l’autre, l’ouverture à sa propre expérience avec l’autre et la capacité à réagir à l’autre. Les auteurs rogériens insistent sur les dimensions de la présence et ils en identifient trois, (1) la préparation, (2) le processus (ce qui se passe) et (3) l’expérience (le vécu). La préparation renvoie à ce qui se passe avant l’entretien, elle est un temps incontournable, elle a à voir avec ce que l’accompagnant fait pour créer un espace de disponibilité, y compris le prendre soin de soi qu’il s’applique à lui-même. Elle a à voir aussi avec les modalités choisies par l’accompagnant pour aller vers autrui et se présenter à lui. Le processus désigne l’ouverture de sa propre expérience à la personne. Il comprend tout ce que l’accompagnant fait, tout en étant présent sous une forme thérapeutique, pour permettre de réunir les conditions partagées d’une valeur positive de l’expérience de soi à deux. Cela suppose une haute fidélité de l’accompagnant à son expérience subjective et donc une reconnaissance des sentiments négatifs qu’il éprouve dans l’ici et maintenant de la rencontre, y compris les sentiments défensifs qu’il ressent. L’exigence est celle d’une attention interne à soi en tant qu’outil, une réceptivité sensorielle et corporelle et le maintien dans le moment présent en réduisant la distance à la présence immédiate. L’expérience de la présence nécessite pour l’accompagnant une capacité à rester centré sur l’élément d’ici et maintenant de la présence. Être en état de présence, c’est ressentir un espace intérieur élargi. La force essentielle du counseling tient à l’importance accordée à l’expérience de la présence partagée, à la minimisation de l’usage des techniques, à la réduction de l’usage d’un rôle professionnel utilisé comme défense et au renoncement au recours à des impératifs techniques pour ne pas s’exposer à exprimer des besoins personnels.
Penser le monde du point de vue de l’autre ne peut être exclusif d’un éprouvé, d’une tentative de compréhension mobilisant des affects et c’est le partage de ces affects ou l’acceptation de ces affects dans la rencontre qui est mis à distance dans les courants traditionnels de la clinique médicale. On aide quelqu’un à mobiliser en lui les ressources dont il dispose pour résoudre ses problèmes, mais on ne partage pas d’autres ressources avec lui que sa propre expertise, ses propres capacités d’interprétation ou d’intervention sur autrui. Pourtant en cherchant ce qu’il y a en lui, et en faisant le travail de l’exposer dans la rencontre qui se joue entre elle et nous, la personne nous donne à voir une part de l’humanité, donc une part de notre condition qui nécessite une levée des barrières et des apartheids de nos statuts asymétriques, car on ne peut pas se sentir accepté si la première condition de l’acceptation réside dans une posture dont l’un seulement a le droit de doser la distance, l’intensité de la durée de l’être ensemble.
En ce sens on peut dire au niveau épistémologique que l’accompagnement revient à accepter de penser les sentiments comme des faits ce qui suppose qu’ils ne sont pas tant des objets de connaissance que des objets de compréhension.
* C’est malheureusement ce qui est proposé dans les recommandations officielles qui orientent la pratique de l’éducation thérapeutique (Haute Autorité de Santé, 2009).
** Titre d’un article d’Anselm Strauss.
*** Avec B.Glaser, Awareness of dying, 1965, London, p.76-106.