D’autres symptômes, comme l’amaigrissement, l’apparition de lésions cutanées (sarcome de Kaposi), les troubles de la vue, de par leur visibilité constituent une attaque directe de l’image du corps. Les dommages neuropsychiatriques, que peut causer le virus lui-même, ont pour effet d’éventuelles expériences de désintégration.
L’infection à V.I.H compromet l’estime de soi, au sens où elle remet en question l’intégrité structurale du corps, ses capacités d’attraction physique et sexuelle et ses capacités motrices. Par ailleurs, les traitements curatifs des infections opportunistes, de par leurs effets secondaires, provoquent des dysfonctionnements internes du corps (diarrhées, vomissements), qui constituent en eux- mêmes une expérience déstabilisante pour l’organisation du moi. La chronicité de l’infection à V.I.H perturbe le sens de la continuité temporelle, par l’alternance d’attaques et de rémissions successives, obligeant la personne séropositive ou malade à des ajustements psychiques permanents et endommage les relations au monde extérieur, voire est à l’origine du syndrome « du deuil anticipé de soi ». Celui-ci est attisé par la succession des pertes concrètes et abstraites occasionnées par l’évolution de l’état de santé vers l’état de maladie de la personne : perte de travail, perte de salaire, du pouvoir d’attraction, perte de la sécurité de base, de l’espoir, de l’ambition, des capacités de contrôle, des idéaux. Souvent ces pertes enchevêtrées sont redoublées par la confrontation aux pertes d’amis parmi ses proches, voire la perte de la ou du partenaire aimé. De nombreuses personnes séropositives ou malades se trouvent dans l’incapacité d’effectuer un travail de deuil structurant, parce que le décès d’un ou de plusieurs de leurs proches survient au moment où elles-mêmes sont confrontées, dans le processus de leur maladie, à un processus de mort, c’est-à-dire à un moment d’extrême vulnérabilité, où elles ont besoin avant tout de maintenir en action leurs fonctions vitales. Ces deuils impossibles provoquent un syndrome traumatique infini où, à la différence d’une catastrophe naturelle ou d’une guerre, il n’y a ni fin, ni reconstruction, ni renaissance, ni recommencements possibles ». (Tourette-Turgis, 1996, p.63).
Inventer une clinique dans une situation d’exception et d’urgence sanitaire
Si le sida a été un fait social d’exception, il a aussi donné lieu au déploiement de pratiques innovantes en termes d’accompagnement : celui de devoir y intégrer de nouvelles problématiques, jamais encore mobilisées par ce champ, comme celles ayant trait à la mort par une infection sexuellement transmissible, à la modification des comportements sexuels, à un autre usage érotique de soi, à la gestion des risques dans le cadre des relations affectives et sexuelles. Le sida a de fait provoqué, chez les cliniciens, une remise en question de la définition de la relation d’aide, et aussi des modalités concrètes de son exercice habituel. Par ailleurs, l’absence de réponse médicale au sida a eu pour conséquence l’émergence d’une autre réorganisation du soin, qui en l’absence de thérapeutiques a fait de l’écoute et de l’accompagnement le seul soin disponible pendant plusieurs années.