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Penser l’éducation dans un contexte de forte mutation sociale

Journal de bord

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Habilitation à Diriger des Recherches - HDR

20/04/2023

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J’ai soutenu ma thèse pour le doctorat de 3e cycle en juin 1981 sur « Psychanalyse et éducation » dirigée par Jacques Ardoino. J’ai été chargée de cours à l’université de Vincennes de 1979 à 1989 sur les approches cliniques en éducation, tout en étant nommée en 1984 à l’âge de 31 ans maître assistante en sciences de l’éducation à l’université de Rennes. Ma thèse portait sur l’interrogation du champ de l’éducation à partir de la psychanalyse, sur l’idéal pédagogique de la psychanalyse et les conditions de transmission du savoir analytique. Ce travail s’inscrivait dans le contexte des années quatre-vingt, où ma génération essayait à la fois de puiser dans la psychanalyse un argument en faveur des pédagogies de l’émancipation, tout en interrogeant le manque d’engagement social des institutions et des praticiens de la psychanalyse sur des questions cruciales, comme la question des femmes, des homosexuels, des minorités actives. J’ai invité Luce Irigaray pour une série de conférences en 1980 à l’université de Paris VIII-Vincennes, dont elle avait été exclue par Jacques Lacan à cause de son féminisme, sans savoir que cela serait  une rencontre significative et marquante par rapport à mon développement personnel. J’ai rédigé la rubrique « Luce Irigaray » dans le dictionnaire des philosophes (1984).

  • 1984. Notice : Présentation de Luce Irigaray, In : Le Dictionnaire des philosophes, Presses universitaires de France, Paris, vol 1 : 130-131.

Un de mes premiers domaines d’exercice d’une pratique clinique et d’intervention pédagogique a été pour moi la petite enfance. J’ai travaillé dans la lignée de Françoise Dolto, et j’ai pu assisté courant 1979, à quelques unes des  consultations  de  “la maison verte”, lieu d’accueil psychanalytique  pour les bébés à Paris. La reconnaissance du nourrisson comme un être de langage s’est traduite pour moi par des interventions directes dans les crèches, les pouponnières, auprès des assistantes maternelles. Les travaux de Brazelton (1983), de Stern (1981), de Spitz sur « l’hospitalisme » (1946) et de Bowlby (1978) sur « l’attachement » ont laissé des traces dans ma mémoire de clinicienne et de chercheure qui se remobiliseront spontanément, quand je développerai mes propres dispositifs d’accompagnement des malades du sida. Soucieuse de faire des ponts entre la théorie et la pratique, j’ai dirigé une rubrique rédactionnelle dans une revue à destination des professionnels de la petite enfance et coanimé un programme d’enseignements universitaires mutualisés sur le thème de la petite enfance avec Laurence Gavarini, Lucette Colin, Cornelia Smoldaka à l’université de Paris VIII-Vincennes. Comme l’écrit Laurence Gavarini (2003, p.54) « Les découvertes des années 1960-1980 sont très directement les héritières de ces savoirs constitués dans l’après-guerre, même si elles correspondent aussi à des ruptures qui ne sont d’ailleurs pas purement scientifiques ou épistémologiques. Ce sont en effet les pratiques sociales, les mœurs, les mentalités qui vont jouer un rôle de formidable accélérateur des évolutions ».

Tout ceci illustre  les sources d’influence et des éléments originaires qui définissent les préoccupations qui vont nourrir mon itinéraire de chercheure, au sens où mes questions de recherche vont surgir au décours de mon itinéraire de clinicienne et d’intervenante dans un domaine qu’on qualifie comme celui des «  métiers de l’humain » (Cifali) ou des « métiers de l’intervention sur l’activité d’autrui » (Barbier). Tous les « autrui » qui seront l’objet de mes recherches et de mes interventions partageront deux points communs : présenter une extrême vulnérabilité et être l’objet d’un intérêt, voire d’une ambition éducative (le bébé et le malade chronique). J’ai publié plus d’une dizaine d’articles de diffusion des savoirs en direction des professionnels de la petite enfance, parce qu’il me semblait important à l’époque de modifier les pratiques d’accueil des jeunes enfants, comme étape préliminaire d’un changement social.

Ces formations, pensées pour des publics d’assistantes maternelles, de puéricultrices, mais aussi pour les parents, portaient sur des thèmes qui divisaient la société, comme l’importance de parler au nourrisson, le respect de sa motricité et de ses rythmes physiologiques, la maturation neurologique nécessaire avant « la mise sur le pot », l’importance de la réduction de la contention corporelle, le sens à donner aux interactions adulte-enfant, le respect de la pudeur des bébés dans les crèches, l’importance de la relation d’accompagnement précoce chez les enfants dans les pouponnières et le rôle structurant des soins.

 

Le résultat de ces formations a donné lieu à la rédaction de deux ouvrages dont l’un a été rédigé pour le grand public et l’autre pour les puéricultrices.

  • (1986). Passion d’enfance. Guide de la petite enfance, Paris, France : Le Hameau.
  • (1986 avec Georgin, M.J., Ouarrak, B., Muller, A.M.) Psychopédagogie de l’enfant, Paris, France : Masson, Coll. Cahiers de puériculture (Préface du Pr. Michel Soulé).

 

Ayant rencontré Margaret Mahler  à New York en avril 1985  et ayant pu visité  son centre pilote d’accueil des jeunes enfants autistes, j’ai rédigé dans l’Encyclopedia Universalis sa notice biographique  avant sa mort :

  • (1987). Avec Tytell P. Notice : « Margaret S. Mahler « – In : Encyclopedia Universalis Vies et portraits – Les vies, p. 576-577.

J’ai retiré au niveau théorique de cette première orientation la reconnaissance de la singularité de l’activité du bébé et de son expérience, (Stern 1981) et l’importance à analyser l’interaction dans les situations de dépendance et de vulnérabilité physiologique et motrice. J’ai compris le risque des abus, qui peuvent être commis au nom d’une ambition éducative démesurée, l’importance d’un accompagnement fondé sur la présence, et la réhabilitation de la notion d’attachement et de lien dans les interactions de soin.

Les assistantes maternelles, qui avaient en garde des enfants en situation d’abandon, n’avaient pas le droit à l’époque de laisser les enfants les appeler « maman ». Il persistait l’idée qu’il fallait laisser intacts tous les gisements psychiques de l’attachement disponibles chez le jeune enfant pour permettre son adoption.

La remise en question des modèles d’éducation et d’accompagnement dans la petite enfance a constitué, pour moi, les prémisses d’un questionnement sur l’accompagnement comme objet d’intervention et de recherche.

En remettant en question la vision tutélaire de l’accompagnement du bébé, en mettant en évidence l’existence, chez l’être humain dès les premières semaines de sa vie, d’une subjectivité qui s’inscrit et s’exprime dans la vie physiologique du nourrisson, en attribuant à ce dernier un statut de sujet on modifie une vision du lien adulte bébé et on met évidence l’importance de solliciter une autre posture.

Le bébé représente « un objet de recherche très investi par les théories psychanalytiques, psychologiques, expérimentales, cognitivistes et comportementales » (Gavarini, 2003). Il représente aussi une problématique de l’intervention au carrefour de l’éducation et de l’accompagnement. On n’éduque pas un bébé, on en prend soin, on l’accompagne dans ses premiers pas, on lui accorde un potentiel de développement et de maturation physiologique à partir duquel toute intervention à visée éducative doit s’adapter. La question de l’époque, qui consiste à prescrire une éducation précoce sphinctérienne, symbolise le désir de maîtrise des adultes sur le fonctionnement du corps d’autrui. En interrogeant les modalités de l’intervention sur autrui, quand autrui est un bébé, il s’agit bien de réinterroger une vision de l’éducation proche du « dressage » (Vigarello, 2001) et portant sur certaines fonctions du corps, comme l’alimentation, le sommeil, le transit, le développement des capacités motrices. Paradoxalement, c’est en modifiant les modalités de l’intervention sur le corps du bébé, par le biais de la création d’une nouvelle puériculture, que l’on verra surgir une nouvelle relation adulte enfant dans le soin, la parentalité et l’accompagnement des jeunes enfants de moins de 3 ans. À partir du moment où il n’est plus un simple objet de soins et d’interventions, le bébé devient un sujet qu’on écoute, à qui on parle et à qui on explique l’intervention conduite sur son corps. Ces courants théoriques de l’époque s’inscrivent dans une période de curiosité à la fois pour la fabrication de l’humain, celle de son origine et de ses évolutions possibles. Le bébé devient un objet de recherche scientifique. Laurence Gavarini (2003, p. 53) nomme cette période « la passion de l’enfant, désignant ainsi cette double face d’objet d’amour et d’objet de sacrifice ».

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