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Mes parents n’arrivaient pas à faire famille

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Mes épreuves et apprentissages

16/12/1963

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J’ai découvert que la famille était un ensemble de faits inconfortables, qu’elle était un espace d’apprentissage de l’obéissance, de la servitude affective. J’ai senti que la famille, que l’esprit de famille décourageait le courage. Il fallait paraître, faire comme si, ne pas perdre la face, cacher, mentir y compris sur le plus sacré. Aussi en écoutant de temps à autre les adultes, je les surprenais à m’inventer une généalogie qui n’était pas ma mienne. Un jour j’étais la pièce rapportée de mon beau-père, un autre jour j’étais une petite fille d’une famille lointaine, selon les invités présents. Il fallait donc cacher ma bâtardise qui aurait entachée l’image qu’il fallait donner du couple parental de mes parents. Les années soixante n’étaient peut-être pas les années du courage en France. On était dans l’espace psychique de l’après-guerre et l’espace émergeant des années 68 où ma génération allait se rebeller justement contre le conformisme et l’asservissement par la consommation. La génération de nos parents était qualifiée comme une génération de résignés.
Je me sens dans un travail de relecture de mon histoire personnelle pour en tirer des significations qui vont bien au-delà d’une vie individuelle au sens où j’ai bien retenu que l’individu est le produit de l’histoire.

Est-ce que mes parents méritaient mon obéissance et ma soumission ? Ma nourrice oui je pouvais continuer à lui obéir en tant qu’enfant car elle se souciait de moi, mais mes parents en me montrant que mon frère et moi étions un poids pour eux me faisaient vaciller dans mes valeurs morales de l’obéissance qu’ils exigeaient de moi. Je pouvais leur accorder de mimer l’obéissance mais je ne pouvais pas m’engager à fonds dans des promesses d’obéissance. Nous comprenions bien mon grand frère et moi que nous étions pour eux un poids. On savait bien qu’on était de trop, qu’on était un en trop dans ce couple fragile. Je pense que nous en étions gênés des fois pour nous mais des fois aussi pour eux. En plus dans la génération de nos parents et l’absence de moyens de contraception, c’était assez fréquent d’entendre autour de nous des familles, en présence de leurs propres enfants « Oh, celui-là ou celle-là voire ces deux-là, ce sont des enfants en trop que nous avons eu ».

Dans les campagnes, j’ai souvent entendu au début des années soixante la revendication des femmes à disposer des moyens de contraception accessibles, fiables et efficaces Je me forçais à exercer les modalités minimales d’obéissance, tout en sachant que cette obéissance était un compromis et qu’il me fallait régulièrement trouver de nouvelles raisons d’obéir. J’obéissais pour avoir la paix, j’obéissais par peur, j’obéissais pour ne pas être punie, pour mon propre confort, j’obéissais pour me protéger, j’obéissais en sachant que cela ne servait à rien, j’obéissais en sachant que cela ne changerait rien au degré de désamour de mes parents, j’obéissais pour me convaincre qu’il me fallait continuer d’obéir pour grandir le plus rapidement possible.

Des fois je m’en voulais d’obéir, j’en voulais à la petite fille peureuse que j’étais tout en ressentant que le courage dont j’avais besoin était celui de continuer mon développement et mes apprentissages. Je me souviens d’avoir traversé des moments de doute moral enfant consistant à devoir choisir entre mettre mon énergie à apprendre ou mettre mon énergie à désobéir. J’avais vu que ceux qui étaient au fond de la classe étaient ceux qui n’arrivaient pas à apprendre étaient aussi ceux qui n’arrivaient pas à obéir en classe ou à leurs parents. Je ne sais pas si ces enfants plus âgés en échec scolaire étaient aussi des enfants de trop !

En avançant comme j’ai pu dans mon parcours de vie d’enfant, je suis arrivée à l’âge de 11 ans c’est-à-dire à la fin de l’école élémentaire. À la différence des villes, la fin de l’école élémentaire dans les campagnes se traduisait par une véritable migration géographique vers un collège situé dans une bourgade voisine ou un lycée situé dans une ville un peu plus loin. J’ai demandé dès l’âge de 10 ans à partir en 6° au lycée ; il m’a été répondu qu’il fallait que j’attende d’avoir l’âge de 11 ans pour partir et comme j’avais fini mon CM2 on m’a mise en classe avec les 4 ou 5 filles qui préparaient leur certificat d’étude et qui avaient 13-14 ans.

Mes parents ont obtenu des bourses pour ma scolarité au vu de mes résultats scolaires et c’est pendant cette année-là d’attente que je me suis désintéressée de l’idée d’obéissance que j’ai remplacée par l’idée de liberté que j’ai non pas considérée comme un droit mais comme un devoir. Je voyais bien que dans ma vie quotidienne la notion de droit était réservée à mon petit frère qui disposait de tous les droits enfantins, il fallait que je trouve
une autre façon de vivre mon monde, il me fallait encore faire des efforts. Il fallait que je conquière ma liberté avec tous les efforts que cela comportait. J’ai donc demandé à partir en pension complète et je me suis engagée à tout faire pour y parvenir car j’avais l’intuition que la séparation physique d’avec ma famille allait m’offrir la liberté d’être dont j’avais besoin. En pension je n’aurai plus à supporter les crises d’éthylisme du beau-père, leurs bagarres, la violence. Il n’y avait pas des victimes et des bourreaux, il y avait plusieurs forces de vie en concurrence. Je devais me battre pour assumer et assurer la force de vie qui était la mienne : celle d’une enfant de 11 ans qui n’avait pas à se mêler d’adultes bizarres auxquels elle ne comprenait rien et près desquels il ne fallait surtout pas rester. Le fait que je passe ma vie dans la classe ou dehors c’est-à-dire en dehors de la maison m’avait permis en fait de commencer les séparations physiques dont j’avais besoin.

L’obéissance pour mon grand frère va se transformer en modèle mental de soldat puisqu’il va choisir une carrière militaire-Loyauté au supérieur hiérarchique. il fallait que je refuse d’être la victime de mes parents car il n’y avait aucun système prévu de réparation ou d’indemnisation psychique adapté à ma situation. Je ne subissais pas de maltraitance physique, je subissais par ricochet la maltraitance d’un homme sur sa femme ,et le stress parental et conjugal qui était au cœur du couple de mes parents de cette famille.

Je n’avais pas assez de force pour les sauver, je ne pouvais pas les sauver et n’avoir pas pu sauver notre mère victime de la maltraitance conjugale qu’elle endurait nous culpabilisait mon frère et moi. Comme nous étions les deux en trop, nos parents ne nous attribuaient aucun crédit et ils ne comptaient pas sur nous pour les sauver. Nous avons donc entamé un chemin personnel d’émancipation moi en demandant à partir au lycée pour apprendre et lui en demandant à partir dans un collège technique et ensuite à l’armée.

Le plus urgent pour moi était de voir comment inventer. L’attente déçue est vécue comme un traumatisme.

Les adultes n’avaient pas conscience des conséquences de leurs incompétences parentales sur mon frère et moi.

Mes parents modifiaient ma place dans l’arbre généalogique en fonction des personnes auxquelles ils voulaient se présenter comme famille. Un jour j’étais la fille de mon beau père , un autre jour j’étais la fille d’une cousine lointaine. Cela me faisait drôle d’entendre ma mère parler de moi comme si j’étais une enfant de passage et en transit au domicile familial. Ce n’était sûrement pas bon pour elle d’en arriver à devoir cacher une part de son histoire mais j’ai l’impression que cela me permettait de nourrir mon imaginaire et donc de mieux supporter le stress parental et familial permanent. En fait dans cette famille, il y avait une tension permanente et je passais mon temps à essayer de me libérer de ce stress insupportable en passant mes journées dehors ou assise à une table d’écolier dans la classe à lire, à écrire et à faire le black out sur ce qui se passait dans la maison. J’entrais en hypnose, je parvenais à annihiler le bruit, les paroles, les sons, la présence, j’arrivais à décoller de la réalité morose du foyer parental .J’habitais des univers merveilleux par le biais de la lecture, des histoires que je me racontais , des rêveries que je conduisais. La vue de la nature par les grandes fenêtres de la classe , les sonorités du vent, de la pluie qui battait sur les vitres, l’anticipation du futur, l’évocation de mes cinq premières années de vie chez ma nourrice , la certitude qu’il y avait quelque chose qui clochait dans cette famille, étaient des ressources essentielles. La nature, les relations que j’ai développée à partir de 6 ans avec les arbres, le soleil, le bruit du vent dans les arbres, la pluie, m’ont littéralement sauvée. Je ne me vivais pas comme une victime, je me vivais comme une enfant qui connaissait ses droits de l’intérieur et c’est la raison pour laquelle » je répondais » à mes parents ,ce qui les mettait en colère. A l’époque dans les années 50-60,c’était interdit de répondre à ses parents mais moi je ne répondais pas à un adulte, je répondais de moi ! Je n’ai jamais cessé de le faire pendant toute ma vie car c’était mon devoir et je l’ai compris très tôt. Etre enfant c’est au moins avoir le droit de répondre de soi. C’est un droit inaliénable. Quand j’ai été psychanalyste d’enfant pendant quelques années, c’est un message fort que j’ai fait passer aux enfants en conflit avec leurs parents. Le droit de répondre de soi quand on est enfant est beaucoup plus important que l’intransigeance du désir d’être compris ou d’être accepté.

Mes parents modifiaient ma place dans l’arbre généalogique en fonction des personnes auxquelles ils voulaient se présenter comme famille. Un jour j’étais la fille de mon beau père , un autre jour j’étais la fille d’une cousine lointaine. Cela me faisait drôle d’entendre ma mère parler de moi comme si j’étais une enfant de passage et en transit au domicile familial. Ce n’était sûrement pas bon pour elle d’en arriver à devoir cacher une part de son histoire mais j’ai l’impression que cela me permettait de nourrir mon imaginaire et donc de mieux supporter le stress parental et familial permanent. En fait dans cette famille, il y avait une tension permanente et je passais mon temps à essayer de me libérer de ce stress insupportable en passant mes journées dehors ou assise à une table d’écolier dans la classe à lire, à écrire et à faire le black out sur ce qui se passait dans la maison. J’entrais en hypnose, je parvenais à annihiler le bruit, les paroles, les sons, la présence, j’arrivais à décoller de la réalité morose du foyer parental .J’habitais des univers merveilleux par le biais de la lecture, des histoires que je me racontais , des rêveries que je conduisais. La vue de la nature par les grandes fenêtres de la classe , les sonorités du vent, de la pluie qui battait sur les vitres, l’anticipation du futur, l’évocation de mes cinq premières années de vie chez ma nourrice , la certitude qu’il y avait quelque chose qui clochait dans cette famille, étaient des ressources essentielles. La nature, les relations que j’ai développée à partir de 6 ans avec les arbres, le soleil, le bruit du vent dans les arbres, la pluie, m’ont littéralement sauvée. Je ne me vivais pas comme une victime, je me vivais comme une enfant qui connaissait ses droits de l’intérieur et c’est la raison pour laquelle  » je répondais » à mes parents ,ce qui les mettait en colère. A l’époque dans les années 50-60,c’était interdit de répondre à ses parents mais moi je ne répondais pas à un adulte, je répondais de moi ! Je n’ai jamais cessé de le faire pendant toute ma vie car c’était mon devoir et je l’ai compris très tôt. Etre enfant c’est au moins avoir le droit de répondre de soi. C’est un droit inaliénable. Quand j’ai été psychanalyste d’enfant pendant quelques années, c’est un message fort que j’ai fait passer aux enfants en conflit avec leurs parents. Le droit de répondre de soi quand on est enfant est beaucoup plus important que l’intransigeance du désir d’être compris ou d’être accepté.

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