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Les spécificités du counseling VIH sur quatre générations épidémiologiques

Journal de bord

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Habilitation à Diriger des Recherches - HDR

20/04/2023

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J’ai travaillé à l’élaboration d’une clinique visant à répondre aux besoins des personnes infectées et affectées par VIH et ce en suivant l’histoire naturelle de la maladie et l’évolution des thérapeutiques, c’est-à-dire (1) l’absence de traitement médical du sida suivi par (2) l’apparition des tests de dépistage avec ses enjeux subjectifs et sociaux dès lors que nous sommes dans le cas d’une infection sexuellement transmissible, (3) l’apparition des premiers traitements curatifs qui de fait a été l’occasion de nouvelles problématiques. En effet, les cliniciens de l’accompagnement ont été confrontés à des questions imprévues à résoudre : À quoi sert de survivre à sa propre mort annoncée si rien n’est prévu au niveau social pour se réinsérer ? Comment gérer la culpabilité de survivre à un amant, un enfant, un parent, aux personnes de sa propre communauté ? On a assisté à une réindividualisation des trajectoires de vie présentant des points communs avec ce que les cliniciens, qui avaient pratiqué une forme d’accompagnement après l’holocauste et après la guerre du Vietnam, avaient observé en termes de symptômes et de difficultés existentielles. Dans le cas du sida elles étaient intensifiées par la dangerosité et les effets secondaires de traitements puissants certes, mais ayant des effets secondaires invalidants. Et fait imprévu (4) le retour à la santé a été assorti d’un autre problème à résoudre : les difficultés rencontrées par les personnes dans leur vie affective et sexuelle avec un fort impact sur la prévention, lors de l’émergence d’une épidémie de syphilis et autres infections sexuellement transmissibles dans les années 2000. Il s’est donc agi de développer un nouveau type d’accompagnement, comportant des composantes de restauration de l’estime de soi, pour lutter contre la solitude affective assignée aux personnes séropositives en traitement, du fait du maintien d’un haut degré de stigmatisation sociale.

Je ne prendrai rapidement que trois situations thérapeutiques emblématiques du counseling lié au VIH, pour définir les choix de me maintenir dans une clinique de l’accompagnement   entre 1992 et 2006 (le dépistage de l’infection à VIH – l’accompagnement des personnes en difficulté avec leurs traitements – l’accompagnement des personnes séropositives en difficulté de prévention).

Le counseling VIH dans la démarche de dépistage

En 1993, j’ai été invitée à implanter un service de counseling dans un des centres  de dépistage de Médecins du Monde rue du Jura à Paris. J’ai accompagné cette initiative de terrain par une recherche-action, visant à explorer la faisabilité et l’implantation d’un véritable service de counseling de dépistage. J’ai formé huit praticiens au counseling qui ont conduit 308 entretiens pré et post-test sur une année entière. Il s’agissait, en rupture avec les pratiques de l’époque, de donner un temps d’au moins 30 minutes à chaque personne désirant effectuer un test de dépistage du VIH. Tout entretien abordait la prévention sous ses aspects subjectifs, son impact sur la relation à autrui et la perception des risques. L’analyse qualitative des contenus des entretiens, m’a permis de faire plusieurs constats dont les suivants :

  • Le rapport au savoir, quand il s’agit d’apprendre quelque chose sur sa mortalité ou sa vulnérabilité biologique, met parfois à mal chez un sujet l’activité psychique en jeu dans le désir de savoir.
  • La médecine prédictive confronte, par le biais du dépistage, l’individu à ses critères identitaires biologiques et le place en situation « d’aveu biologique », selon les contextes de vie et les modalités de contrôle sanitaire dans lesquels il vit. En m’arrêtant sur cette demande de savoir, j’ai découvert dans l’analyse des entretiens à quel point la réponse qu’offre la médecine, à la demande de savoir en termes de dépistage, ne fait pas effet de vérité en matière de prévention.
  • La prévention de l’infection à VIH peut mettre à mal tout le système de valeurs d’un individu. En effet, on fonde assez spontanément ses pratiques sexuelles sur des valeurs, comme l’amour, l’affection, la confiance en l’autre, l’abandon de soi et certains usages érotiques de son corps. Or brutalement l’apparition d’une infection mortelle, transmissible par voie sexuelle et sanguine, oblige les femmes et les hommes à exercer une nouvelle forme de réflexivité sur eux-mêmes, dans les modalités d’exercice de leurs relations les plus intimes à autrui.

Comme l’exprime cette femme :

« J’ai quitté François, que j’avais dans la peau, alors je suis venu me faire dépister, car je voulais savoir si je l’avais encore dans le sang avant de sortir avec un autre homme et modifier mes pratiques sexuelles, maintenant que je sais que je suis séronégative, il me faut terminer mon deuil ».

Le counseling requis dans l’accompagnement de personnes au cours de leur démarche de dépistage confronte les praticiens aux enjeux psychiques de la prévention. Celle-ci ne peut être réduite à une histoire de changement d’attitudes et d’adoptions de nouveaux comportements, surtout lorsqu’il s’agit de sexualité. De fait il s’agissait de pouvoir entendre les difficultés de prévention aussi comme des demandes d’aide et aussi parfois donner aux énoncés des échecs vécus en prévention le statut de plainte et de souffrance psychique causées par cette nécessaire prévention.

Ce travail de terrain a donné lieu à plusieurs présentations au niveau national et international à la 9ème conférence internationale sur le sida à Berlin*, en juin 1993, et à la 8ème conférence internationale sur le sida et les maladies sexuellement transmissibles en Afrique** à Marrakech, en décembre 1993***. Une des retombées de ce travail, à travers le dépouillement des entretiens, a servi à alimenter la problématique d’un colloque, présidé par J. Ardoino et organisé à La Villette par l’Agence Française de Lutte contre le sida, sur la question du langage et de l’écoute dans les pratiques de la formation****. Il a été aussi l’occasion d’une publication dans une revue des sciences de l’éducation et d’un chapitre d’ouvrage :

  • (1995) : La place nécessaire du sujet en prévention. Le cas du sida. L’année de la recherche en  sciences de l’Éducation. Paris : PUF, p. 59-68.
  • (1996) : Counseling, dépistage et prévention. Sida et vie psychique, dirigé par Serge Héfez, Toulouse : Erès, pp. 105-122 (Préface de Jonathan Mann, Organisation mondiale de santé).
*  Sous le titre anglais : « A pilot experiment action of counseling at the Screening Center of Médecins du Monde à Paris » (Berlin, juin 1993).
** « Expérience pilote de prévention au Centre de Dépistage de Médecins du Monde : Mise en place du premier service de counseling pré et post-test ». (Marrakech, décembre 1993).
***  Par ailleurs, elle donnera lieu à une communication10 lors d’une rencontre à caractère européen sur le counseling en 1993, ainsi qu’à des conférences lors de rencontres, colloques et formations de médecins10. J’ai publié, avec plusieurs collègues ayant participé à ce travail, un dossier spécial counseling 10 dans Le Journal du sida.
****  Ces thèmes ont été largement abordés dans les ateliers du Colloque « Langage et écoute dans les pratiques de formation liées à l’infection à V.I.H. » organisé à la Villette par l’AFLS, sous la direction scientifique de J. Ardoino (janvier 1994).

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