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Les différentes formes d’usage de soi dans l’accompagnement

Catherine Tourette-Turgis

Journal de bord

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Habilitation à Diriger des Recherches - HDR

20/04/2023

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J’ai pu repérer, à partir de la clinique de l’accompagnement de sujets exposés à une maladie à pronostic incertain, au moins trois formes d’usages de soi dans l’accompagnement : un usage de soi par soi, un usage de soi par autrui, un usage de soi pour soi. L’usage de soi par soi comprend l’adoption par l’accompagnant d’attitudes, déjà bien définies par Carl Rogers, comme un regard positif inconditionnel, un certain degré d’empathie et un niveau de congruence. Les définir en termes d’usage permet d’insister sur le fait que cet usage n’est pas spontané, qu’il nécessite un exercice, un entraînement permanent. L’usage de soi par autrui comprend la possibilité d’appréhender la demande formulée par autrui et aussi toutes les formes d’usage que le malade fait de l’accompagnant, en s’y sentant autorisé, invité ou contraint par sa condition corporelle. L’usage de soi pour soi est la part de travail et de responsabilité qui revient à l’accompagnant de continuer à exister pour soi et pour autrui. L’accompagnement suppose des choix d’usages de soi. Une forme de travail pour l’accompagnant consiste à s’expliquer avec soi plutôt que de chercher à « sortir de soi » sous la forme de mécanismes défensifs. Dans le champ de la maladie, à la différence du champ du travail social, l’omniprésence en toile de fond de la mort et du corps malade ou détérioré convoque chez l’accompagnant des choix multiples d’usage de soi y compris de son propre corps, lorsque la personne est en situation de ne plus pouvoir exercer seule ses fonctions vitales.

Dans les théories de l’accompagnement, c’est indéniablement Carl Rogers qui le plus a théorisé la question de l’usage de soi, notamment dans l’invention du concept de « congruence », qu’il définit comme un travail de prise de conscience de ses propres ressentis, afin de s’accompagner soi-même quand on accompagne une personne : « L’expérience m’a montré que, par exemple, pratiquer une acceptation conséquente, alors qu’en fait je m’ennuie ou suis sceptique, ou je ressens un autre sentiment non acceptant, est à coup sûr perçu à la longue comme inconséquent et indigne de confiance » (Rogers, 1942).

Mes observations cliniques conduites au cours de ma propre pratique et aussi la pratique de formation d’accompagnateurs montrent la difficulté d’accéder à des niveaux profonds de congruence dans les situations extrêmes. Ces dernières mettent peut-être en évidence les limites d’applicabilité du counseling rogérien, qui a été pensé pour des personnes valides, et la nécessité d’introduire un cadre théorique abordant la notion de vulnérabilité biologique. Il me semble alors que dans les usages de soi de l’accompagnant, il soit important d’apporter une lecture spécifique qui réponde au réel de la situation de la maladie et du handicap. Ceci pose la question de la fiabilité de l’accompagnant qui au-delà de la bienveillance décrite comme posture de base transversale à toutes les théories de l’accompagnement (Maela Paul, 2009) engage celui qui s’occupe de malades à la création d’un lien d’accompagnement spécifique, au sens où le fait de savoir que l’on va survivre à celui qu’on accompagne occupe la place centrale de la scène. Ma pratique clinique, au cœur d’une tragédie épidémique, m’amène aujourd’hui à proposer des appuis théoriques complémentaires à ceux qui existent dans le champ.

Cet usage de soi par autrui correspond peut-être plus à ce que Fustier (2012 p. 91) qualifie de lien métissé caractérisant des types de relations d’accompagnement dans lesquelles « se crée un lien personnel et subjectif, fait d’une succession de dons/contre-dons, à l’infini ». Cette relation est décrite par Cifali et André (2007) comme de l’ordre de « l’efficience d’une intersubjectivité ». L’accompagnateur occupe une position particulière, où les problèmes de l’altérité se présentent comme aigus, exigeants, incontournables, qu’il soit confronté à une personne ou à un groupe.

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