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Le type de counseling en direction des personnes séropositives en difficulté de prévention

Journal de bord

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Habilitation à Diriger des Recherches - HDR

20/04/2023

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A partir des années 2000, on observe chez les malades du sida une forme de « désenchantement du monde ». Ils vivent certes, mais la promesse thérapeutique n’est pas assortie d’une promesse sociale. Une nouvelle crise sanitaire, comme l’apparition de la syphilis chez les homosexuels masculins, montre qu’il y a une crise de la prévention chez les personnes séropositives en traitement. Les études confirment par ailleurs une forte incidence des troubles de la sexualité déclarés par 35 à 44 % des personnes séropositives (Enquête Vespa, 2004).

Force est donc d’admettre l’impact négatif de la séropositivité sur la qualité de vie affective et sexuelle. Par ailleurs les troubles de la fonction érectile rendent impossible l’usage des préservatifs. La société réagit en proposant la pénalisation, en incitant les personnes séropositives à  » révéler «  leur statut biologique à tous leurs partenaires. Les soignants, qui ont vu leurs patients proches de la mort et les connaissent depuis des années, ne se sentent pas prêts à explorer leurs comportements sexuels, même s’ils les soignent pour une syphilis. Il faut donc mettre en place des espaces d’écoute, sur la vie affective, amoureuse et sexuelle, en dehors des lieux de soin. Le thème de la sexualité des personnes séropositives est un thème, qui à la différence de la maladie et de la mort, ne soulève aucune empathie, compassion ou solidarité d’aucune sorte dans l’espace social qui, depuis l’arrivée des traitements, ne manifeste plus aucune sollicitude à l’égard des malades du sida.

J’ai alors entrepris de nouveaux travaux prenant la forme de la mise en place d’ateliers sur l’estime de soi. Il s’agissait, au cours de l’année 2005-2006, de répondre à une commande de santé publique portant sur les difficultés de prévention rencontrées par les personnes séropositives. Je défendais l’hypothèse qu’il fallait développer des dispositifs d’accompagnement visant à l’amélioration de la qualité de vie affective et sexuelle comme préalable à toute éducation préventive (Tourette-Turgis, 2006). Une culture de la prévention ne pouvait émerger, ni de la détresse affective, ni de la perte du désir, ni de la décompensation érotique causée par la souffrance, le rejet et l’exclusion. Au contraire, tous ces déterminants étaient ceux qu’on retrouvait dans les prises de risque et dans les conduites de rébellion ou d’abandon des comportements de prévention (troubles de la sexualité, troubles de la conjugalité, isolement, incapacité à se penser comme un être de valeur et donc incapacité à donner de la valeur à sa propre vie et à celle d’autrui, difficultés à faire des rencontres). À ce titre j’ai animé, au titre de psychosociologue, 20 séances de groupe sur ce thème incluant 64 malades. Ce travail soutenu et financé par la Direction Générale de la Santé a donné lieu à des communications, dans des congrès ou revues professionnelles, significatives pour l’orientation des politiques de santé publique :

 

  • avec Thierry Troussier (2006). La qualité de la vie sexuelle et affective favorise la prévention chez les personnes vivant avec le VIH, revue Sexologies (15) 165-175.
  • (2007). Guide d’animation des ateliers « Estime de soi » en direction des personnes séropositives au VIH. Paris, France : Comment Dire.
  • (2005). Les difficultés en prévention rencontrées par les personnes séropositives – Récits de prévention. 58ème Rencontre du CRIPS Île de France « Séropositivité, sexualité, responsabilité et prévention », Cité des sciences La Villette, 15 mars 2005, Paris, France (communication orale).

 

Ainsi mon travail clinique aura été de l’ordre d’une approche longitudinale de l’accompagnement portant sur un même objet : une maladie particulière, le sida sur une période de 20 ans (1986-2006).

Cela m’amène à faire plusieurs constats : il n’existe pas à ma connaissance d’étude longitudinale aussi longue conduite sur des sujets ayant vécu et survécu à une maladie dans des conditions aussi singulières que le sida. Les dispositifs d’accompagnement sont en général prévus pour une étape particulière de la maladie, mais c’est la première fois dans l’histoire que des sujets ont pu disposer d’un accompagnement inédit s’initialisant dans une phase terminale et étant repris dans une phase de  » résurrection », avec au milieu une intervention de soutien préventif ayant trait à la sexualité et pouvant intégrer par exemple une procréation médicalement assistée.

Le sida a mis à mal les modèles théoriques et cliniques de l’accompagnement et il a bien fallu chercher des étayages théoriques et préciser en quoi le sida supposait une redéfinition des concepts fondamentaux de l’accompagnement en rupture avec les théories de cette activité, définie dans le champ du social, de l’éducation ou de la formation des adultes (M. Paul, 2009). Les objectifs et les valeurs, qui accompagnent habituellement l’accompagnement, comme ceux de projet et d’autonomie, n’avaient aucun sens, puisqu’il s’agissait d’accompagner des personnes isolées, stigmatisées, condamnées au niveau biologique et mises à mort dans le regard social porté sur elles. Prendre pour objet les activités d’accompagnement revenait à les concevoir, les construire, et à partir des effets observés, des outils cliniques utilisés, il était important de générer des savoirs d’action et des savoirs pour l’action, sachant que réfléchir de manière théorique aux activités d’accompagnement c’était prendre des décisions et donc participer d’une éthique. Pour pouvoir conduire mes travaux d’écoute et d’accompagnement, j’ai dû opérer à nouveau un double affranchissement. Le premier, qui m’a permis de positionner une nouvelle démarche le counseling, a consisté à adopter une position d’écoute des malades, dans ce qu’ils avaient à dire, sans réduire mon approche à une psychologisation de leur situation ou adopter une grille de lecture psychopathologique à l’égard de l’homosexualité masculine, la transsexualité ou la toxicomanie. Il s’agissait d’accompagner des personnes, devant faire face au sida, dans un environnement qui les maintenait dans un climat de « mort annoncée ».

Le deuxième affranchissement est celui qui m’a conduite progressivement vers les théories du care, au sens où c’est en me libérant partiellement des protocoles de l’entreprise soignante et en prenant le parti de l’écoute comme un soin que j’ai pu implanter des consultations d’aide et d’accompagnement. Ce sont les publics que j’ai rencontrés, qui m’ont invitée à ce double affranchissement, c’est-à-dire les malades et ceux qui s’en occupaient : les soignants.

Nous n’avions pas de mot à l’époque pour caractériser l’organisation des activités des usagers de drogue ou les activités des usagers « des lieux de drague ». Or ce sont ces publics qui étaient les plus exposés aux risques mortels du sida. De fait nous commettions beaucoup d’erreurs face à ce public. Je me souviens que c’est en conduisant des entretiens avec des usagers de drogue dans un centre de distribution médicale de méthadone que nous avons découvert que le fait de délivrer un produit de substitution le matin ne suffisait pas et mettait en danger ceux qui acceptaient de se soigner par ce traitement remplaçant l’injection d’héroïne. En effet, ce public, dont la journée était ordinairement structurée par la recherche du produit, se retrouvait soudain face à une inactivité intolérable et déstructurante. L’activité de consommation était une activité qui donnait lieu à de multiples activités autres, à des interactions, à des rencontres, à la gestion d’incidents qui maintenaient le toxicomane dans une vie qui ressemblait à celle d’un travailleur à plein-temps et à horaires décalés. En privant l’usager de drogues de ses activités habituelles, on le privait de ses capacités d’alerte, d’hypervigilance, bref de l’exercice de son intelligence quasi-professionnelle, parfait connaisseur de son travail et de celui des autres, y compris des forces de police. En choisissant d’observer, de comprendre et de décrire les manières de faire des toxicomanes, nous étions en totale dissonance avec ceux qui choisissaient d’écouter les toxicomanes, en utilisant des grilles de lecture d’inspiration psychothérapeutique sans être psychothérapeute. Ces derniers nous prévenaient du caractère hautement manipulateur des usagers de drogue et il existait à cette époque un jugement négatif et moralisateur, qui détournait les éducateurs de la mise en place d’un quelconque travail avec ce public.

 

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