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Le type de counseling adapté aux difficultés que rencontrent les personnes survivant au sida dans la prise de leur traitement

Journal de bord

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Habilitation à Diriger des Recherches - HDR

20/04/2023

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Le suivi des personnes en traitement posait un certain nombre de problèmes cliniques, au sens où personne ne savait, dans les années 1995, quel était le dispositif le plus approprié pour aider une personne malade à prendre un traitement dans la durée, avec des effets secondaires lourds, sachant que l’impact psychique le plus important était pour un sujet de penser qu’il allait revivre et survivre, alors qu’il avait été déclaré mourant quelques mois auparavant. Penser un modèle d’accompagnement des personnes en traitement supposait de mobiliser une approche de soutien, puisant dans les modèles théoriques des approches de survie. Pour ce travail, j’ai conduit une trentaine d’entretiens et construit pas à pas une clinique proche de la réhabilitation d’un soi qui a déjà été pensé comme « mort ». Les médecins ont été confrontés à un phénomène imprévu : les malades, auxquels ils proposaient des traitements efficaces, n’arrivaient pas à prendre leurs médicaments et se retrouvaient en échec thérapeutique. En effet, les traitements antirétroviraux ne souffraient aucun oubli de prise et le succès thérapeutique en était tellement dépendant qu’une simple omission de prise de ses médicaments supérieure à 24 heures causait chez le patient une mutation virale, assortie d’une résistance qui elle-même était transmissible sexuellement. La peur collective d’avoir un virus résistant à tout traitement a fait du traitement du sida une affaire de santé publique qui autrement serait restée une affaire individuelle relevant du vouloir vivre ou mourir, en général accordé aux malades qui ne veulent pas, ne peuvent pas prendre leurs médicaments (infarctus, cancer, diabète, hypertension, insuffisance rénale)*.

C’est dans ce contexte de vives tensions entre la santé publique et la santé individuelle que j’ai développé une pratique de counseling sous la forme de création de consultations d’aide à la prise des traitements**. À partir d’entretiens avec des personnes en difficulté de traitement, et aussi de la revue de la littérature anglo-saxonne à laquelle j’avais accès, et des expériences existantes, j’ai rédigé des manuels d’entretien pour les infirmières et les volontaires des associations, ainsi que des programmes de formation, afin d’aider la communauté des acteurs de l’épidémie à comprendre les processus à l’œuvre dans la reconstruction d’une trajectoire exigeant une remobilisation de capacités temporairement immobilisées par la maladie, la désocialisation et la perte des rôles sociaux. La gestion des médicaments comportait aussi une dimension d’apprentissage.

L’analyse des entretiens menés sur ce thème, m’a conduit à plusieurs constats. Tout d’abord, l’observance thérapeutique, c’est-à-dire la prise de son traitement, est un résultat à atteindre et non pas un comportement caractéristique ou une composante de la personnalité. Il n’existe pas de patient « observant » ou « non observant », il existe des situations qui ont pour résultat qu’un sujet va suivre sa prescription médicale. J’ai isolé des catégories pour donner des points de repères aux soignants et aux patients eux-mêmes, comme la non-observance occasionnelle, la non-observance situationnelle, la non-observance intentionnelle (Tourette-Turgis, 1997, 1999, 2001). Ces catégories sont importantes, non pas en tant que telles, mais pour les types d’intervention qu’elles requièrent de la part de ceux qui conduisent les consultations d’aide à l’observance. On ne traite pas de la même manière un incident dans la non prise d’un médicament causé par un oubli ou par une décision volontaire d’arrêter son traitement. L’intérêt de proposer des catégories oblige à une approche compréhensive avant toute intervention. Il faut prendre du temps avec le malade pour comprendre ce qui se passe, déterminer ce qui relève de lui, d’autrui, d’une situation de vie, d’un événement inhabituel et qui peut expliquer que ce jour-là il n’a pas pris son traitement. Cette entrée par le récit de la vie quotidienne, cet intérêt pour les manières de faire des patients évitent le contrôle comportemental et l’attitude punitive ou culpabilisante. Ces travaux ont donné lieu à la rédaction de guides d’entretien, mais aussi à une étude de faisabilité et une évaluation dans le cadre d’un essai clinique randomisé :

 

  • (2002) avec Rébillon M., Mettre en place une consultation d’observance aux traitements contre le VIH/sida – De la théorie la pratique, Paris, France : Comment Dire.
  • (2003) avec Pradier C., Bentz L., Spire B., Efficacy of an educational and counseling intervention on adherence to highly active antiretroviral therapy : french prospective controlled study. HIV Clinical Trials, 2003, 2, 121-131.
  • (2001) avec Bentz, Pradier et al. Description et évaluation d’un programme d’intervention sur l’observance thérapeutique (counseling) dans un centre hospitalo-universitaire, In C. Bungener, M. Morin, M., Souteyrand (Eds.) L’observance aux traitements contre le VIH/sida : Mesure, déterminants, évolution. Collection Sciences Sociales et SIDA, ANRS, décembre 2001 : 99-112.

 

Mes travaux, sur l’accompagnement des personnes en difficultés de traitement, ont été répertoriés, en France, parmi les modèles d’intervention en éducation possédant des critères pertinents d’évaluation :

 

  • (2010). avec Bentz, L., Pradier, C. Le counseling motivationnel : modèle d’observance thérapeutique pour le VIH, dir. Foucaud, J., Bury, J., Balcou-Debussche, M., Eymard, C. (éd) Éducation thérapeutique du patient. Modèles, pratiques et évaluation. Saint-Denis : Inpes, coll. Santé en action, 218-234.

 

 

 

*  Environ 5000 personnes décèdent en France par an suite à une non prise de leurs médicaments.

** Ces consultations ont été avalisées par la Direction Générale de la Santé et elles font maintenant partie des  recommandations officielles pour la prise en charge des personnes VIH. J’ai veillé à ce que ce type d’accompagnement soit institutionnalisé et offert dans tous les services VIH et à toutes les populations.

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