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L’arrivée des voitures dans les villages dans les années 60

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La France de mon enfance

04/01/1960

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Dans le village, les gens voyagent encore en voiture à cheval et j’entends un jour mes parents parler de l’achat d’une voiture, ce qui leur éviterait de devoir toujours emprunter la voiture de ma grand-mère. Un concessionnaire de la petite ville d’à côté nous rend visite. C’est la première fois que j’entends parler de vente et de crédit à la maison. Je vois aussi des prospectus, je surprends le regard d’envie de mes parents. J’ai l’impression qu’ils s’achètent un jouet. Leur joie se communique à mes frères et moi, nous aussi on répète : « on va acheter une voiture ».

Un jour la voiture arrive ; c’est une dauphine de couleur gris métallisé. Mon beau-père va en prendre soin comme d’un objet d’art. Il la nettoie avec une peau de chamois, l’astique tous les jours, la rentre au garage et nous interdit de la rayer avec nos vélos. Plusieurs soirs de suite, avant la tombée de la nuit, il va au garage et on le surprend en train de contempler la voiture. Dans le village, les gens viennent voir la voiture et certains hommes demandent à mon beau-père de les emmener faire un tour. Cette voiture va changer notre vie, on va plus aller à la ville et les choses vont prendre de la vitesse. Un nouveau problème va refaire surface : l’influence de l’alcool sur la conduite automobile.

Mon beau père conduit bien, sauf lorsqu’il est en état d’ivresse. Régulièrement, il est l’auteur d’incidents dans le village, il écrase un chien, il fait une embardée sur la route et renverse une femme du village à bicyclette. Un autre jour, il renverse à vingt à l’heure une vieille dame qui traverse la route.

Cette femme n’a pas pu évaluer la distance de la voiture, car elle n’a jamais vu de voiture de sa vie. Elle s’est fixée à la vitesse habituelle des voitures à cheval. L’arrivée des voitures va modifier la qualité de vie dans les fermes. Par exemple, nos voisins vont commencer à sortir le dimanche. Ils s’occupent des bêtes le matin tôt, partent se promener et rentrent le soir pour l’heure de la traite. Les loisirs sont calqués sur l’heure de la traite des vaches. La voiture oblige à développer de nouveaux loisirs. Je me souviens de discussions à la maison consistant à trouver une idée de sortie ou de visite. Le téléphone n’existe pas dans les maisons, il faut donc faire dire aux gens qu’on va leur rendre visite ou se présenter à l’improviste. Le mieux est encore de mettre en place des routines hebdomadaires.

Un nouveau problème apparaît. L’arrivée des voitures dans les familles fait qu’on se trouve confronté à l’absence des gens de leur domicile. En général, les vieux restent à la maison car nombre d’entre eux refusent de monter dans ces « engins de malheur ». Ils gardent aussi les enfants car les voitures ne sont pas prévues pour les familles nombreuses et on ne sait pas y transporter les enfants qui se cognent souvent au pare-brise en cas de coup de frein. Bref, la voiture nécessite un ensemble d’apprentissages qui vont se faire par paliers progressifs. Les chevaux sur les routes s’emballent dès qu’ils croisent une voiture, or les villages comportent encore de nombreuses voitures à cheval et rien n’a été prévu pour la rencontre de ces deux civilisations à vitesse si différente. J’entends parler du nombre de chevaux qu’il y a dans une voiture. Notre Dauphine fait sept chevaux : je ne comprends pas ce que cela signifie. Les concessionnaires de voitures se développent, la France a un objectif : une voiture par foyer. Les vendeurs de voiture envahissent les fermes, ils se déplacent à domicile avec des voitures qu’ils font essayer aux cultivateurs. De temps à autre, on entend qu’un concessionnaire s’est fait sortir à coup de cannes par un vieux du village qui l’a traité brigand et d’envoyé du diable. Dans certaines fermes, la voiture est restée embourbée et le concessionnaire a dû se faire remorquer par un tracteur.

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