logo catherine tourette turgis

Suivre ce blog

Conclusion de la première partie

Journal de bord

>

Habilitation à Diriger des Recherches - HDR

20/04/2023

Twitter
LinkedIn
Email

En conclusion de cette première partie , j’ai tenté d’adopter et d’expliciter une posture de travail singulière qui consiste à s’engager, à porter attention et à être proche auprès de celui qui ne peut exprimer sa souffrance et ses besoins, que s’il sent cette proximité  » l’être à côté «  et bénéficie du don de l’attention prodigué par celui qui s’engage à être là, à ses côtés, sachant que l« être à côté est une activité clinique en soi ». L’appel et la réponse à la demande ou à la souffrance ne sont pas des branchements qui se répondent automatiquement. Il n’existe pas de possibilité d’expression de la demande ou de l’appel sans la présence d’un être là attentif. C’est une certaine forme de présence qui évitant toute frontalité et toute confrontation déclenche la demande. L’importance accordée à l’attention à autrui, comme rendant possible l’expression de sa demande, met à mal une certaine culture de l’intervention, qui pose la nécessité d’attendre la formulation d’une demande pour intervenir alors que « c’est le lien qui fait exister la détresse d’un autre pour un autre et par cet autre dans une réciprocité qui n’est pas symétrique » (Schneider 2011, p. 109).

Le rapport au savoir médical vient interroger des composantes d’un rapport au savoir assez inédites dans l’espèce humaine qui n’est pas préparée à devoir se confronter à l’annonce de sa mortalité ou d’un avenir incertain et c’est dans ce sens qu’il faut déployer des espaces d’accompagnement des personnes destinataires de ce type d’annonce. À l’époque où j’ai commencé à tenter de problématiser quelques éléments pouvant relever des sciences de l’éducation, j’ai pu, en résonance avec les avancées des sciences sociales et aussi l’approche clinique d’orientation psychanalytique en éducation, proposer quelques pistes pour commencer à penser une éducation des malades qui poserait le sujet malade comme un sujet aux prises avec une série de transformations de soi, qui participe aussi aux transformations d’autrui et du monde.

Les savoirs à visée de diagnostic ont un statut particulier en ce qu’ils engagent, sur un mode inédit dans les relations humaines habituelles, à la fois ceux qui les énoncent et ceux qui les reçoivent. Si la pulsion de savoir chez Freud avait comme support la curiosité sexuelle, on ne sait rien des transformations de cette pulsion, lorsqu’il s’agit d’un objet de savoir très particulier portant sur la mort, qui précisément chez Freud est catégorisée comme un impossible à envisager par l’inconscient.

L’accompagnement se situe à la fois dans les philosophies de l’être et les logiques de l’agir, sachant que chacune de ces deux facettes fait appel à un travail pour adopter la posture requise et des méthodes adaptées. Cela englobe un ensemble d’opérations à conduire à l’intérieur de la rencontre ou des entretiens, au sens où les deux dimensions majeures convoquées sont la dimension relationnelle et la dimension temporelle. Il faut pouvoir se penser à deux dans le processus d’accompagnement, face à une temporalité dans le cas particulier de la maladie, qui a tendance à venir faire pression sur le cadre. Le réel n’est jamais hors jeu, et le cadre est toujours traversé par les dimensions externes, comme la souffrance physique, les épisodes de maladie, d’hospitalisation, de crise. L’objectif partagé porte souvent sur le comment survivre et le travail de l’accompagnant inclut une réflexion sur les limites de son engagement, non pas en termes de discours, mais en termes d’expérience vécue et d’affects partageables. L’accompagnement transforme tout autant celui à qui il est destiné que celui qui le pratique. Il est une forme d’intervention sur autrui tout en étant aussi une forme d’intervention sur soi.

 

En ayant été confrontée fréquemment à une volonté sociétale et aussi à celle des soignants de moraliser les conduites des malades, j’en suis venue à m’intéresser à ce thème qui traverse les pratiques qui ont à voir de près ou de loin avec les pratiques sanitaires. En effet, il persiste de vives tensions éthiques dans le monde médical, entre ceux qui blâment le malade qui ne suit pas les recommandations médicales, ceux qui le pathologisent en faisant de lui un sujet suicidaire, perdu pour lui-même et pour la collectivité, et ceux qui désirent réformer le système de l’organisation des soins pour le rendre plus accessible et plus adapté aux publics qui en ont le plus besoin. Cela suppose d’élargir la définition médicale et conventionnelle de la notion de soin.

Une des questions posées est donc celle qui consiste à proposer un type d’accompagnement qui ne victimise pas une deuxième fois la personne, en annihilant ses forces de lutte, et qui en même temps s’appuie sur des forces de soutien réciproques et partageables entre le praticien et son destinataire.

 

La santé d’autrui devient, comme on l’a vu dans le dépistage, ce que mesure un dispositif technologique sans que cela puisse forcément faire sens en temps réel pour cet autrui qui apprend quelque chose de lui qu’il n’a pas encore pu observer, dans la mesure où l’usage des techniques de dépistage se fait de moins en moins sur des symptômes, mais s’exerce en routine (mammographie, tests génétiques prédictifs, dépistage du VIH, du VHC, du VHB). Il s’agit donc pour un sujet de se penser et d’agir à partir d’un savoir appris sans que celui-ci ait fait l’objet d’un désir d’apprendre ou de savoir.

Les notions de vie et de mort, de santé et de contamination ne sont peut-être pas des notions aussi simples que les discours institutionnels et politiques de santé publique ne le laissent penser.

L’évolution de ma posture professionnelle pour penser l’accompagnement comme objet d’intervention et comme objet de recherche, tient au fait que seulement les approches théoriques qui posent le sujet comme un sujet relationnel ont pu répondre à mon souci de contrer les théories d’un sujet rationnel, comme celui véhiculé par les modèles théoriques d’éducation à la santé, qui défendent l’idée d’un individu raisonnable qui adhérerait à une logique utilitariste et choisirait ce qui est bon pour lui et à moindre coût en termes de santé. Les préjugés sous-jacents à cette approche sont lourds de sens pour les malades, car ils donnent à penser que le malade, qui n’arrive pas à suivre l’ensemble des tâches qu’il doit réaliser pour aller mieux ou survivre, serait un sujet affublé d’une anormalité complémentaire à sa maladie.

J'ai envie de suivre ce blog

Chapitre précédent

Suivez moi sur

Je désire m'abonner à ce blog