J’ai réalisé trois missions avec Maryline Rébillon et Lennize Pereira-Paulo pour évaluer le travail de 11 associations en Afrique.
Cette mission était commanditée par Ensemble contre le SIDA qui voulait bénéficier d’un regard extérieur et faire le point sur ses actions.
Lorsqu’on entre dans une association en Afrique, on est tout de suite envahi par une émotion qu’on a perdue dans nos pays riches, l’émotion provoquée par la présence en masse de personnes qui attendent assises dehors sur des bancs pendant des heures sans se fâcher, ni se bousculer.
On est saisi par le calme des personnes à l’accueil, leur gentillesse et leur sollicitude, rien à voir avec nos services publics en France qui n’ont pas l’art d’accueillir les plus démunis et les malades, rien à voir non plus avec les hôpitaux en Afrique qui de fait excluent les plus pauvres de la population.
Comme nous l’explique Marie-José, directrice de l’ANSS: » nous avons sollicité l’aide des associations du Nord pour qu’elle nous aide à payer la caution pour les malades qui avaient besoin d’une hospitalisation ».
On a eu « des malades qui à la sortie de l’hôpital se sont retrouvés en prison car ils ne pouvaient pas payer leur séjour ».
Dans un autre pays d’Afrique de l’ouest, un responsable d’association nous explique : «Si tu veux voir un spécialiste à l’hôpital, tu dois utiliser ton champ relationnel, le pauvre, il ne connaît personne, il est obligé de respecter la procédure… lui on lui demande de payer… alors que toi…tu peux ne pas payer le spécialiste si c’est dans ton champ relationnel. Alors tu vois, le pauvre doit être représenté. C’est pour cela que nous l’accompagnons à l’hôpital… pour être sûrs qu’il sera bien traité… De toute façon comme tu l’as vu, il y a des gardes à l’hôpital, il y a ensuite un circuit et souvent il faut savoir lire et s’orienter pour arriver au bon service, si tu ne connais personne, si tu n’as pas d’argent, tu ne peux pas arriver à bon port…»
Une association de personnes vivant avec le SIDA en Afrique, ce sont des personnes qui décident de se réunir pour ne pas mourir me dit un jour une femme. La directrice d’une association au Burkina Faso ajoute :
«Au début, les volontaires de l’association étaient des femmes veuves avec des enfants, elles consacraient cinq jours sur sept à l’association, on ne pouvait même pas leur offrir le carburant pour leur mobylette… On se plaignait de n’offrir que de la parole… puis petit à petit on a entendu les femmes rire, elles se sont senties utiles, elles se sont mis à grossir, elles se sentaient appréciées, elles rencontraient d’autres femmes. Il y en a qui marchaient à peine, elles ont récupéré même sans traitement, bien sûr on s’est battues pour le soin mais même encore maintenant en 2003, on n’a que 26 personnes qui ont des ARV pour X personnes qui participent régulièrement aux activités de l’association.»
L’écoute fait partie du traitement, d’un bout à l’autre de l’Afrique, cette phase
revient assortie d’une autre : on connaît des personnes qui ne sont pas mortes du SIDA mais le silence les a tuées avant que la maladie ne les emporte !
En revanche, cette association qui s’est affichée dès 1993 comme association prenant en charge les personnes vivant avec le VIH, a été vivement critiquée lorsqu’elle a décidé de faire les premiers témoignages pour la télévision.
Les médecins avec lesquels nous travaillions nous ont dit : «Ne faîtes pas cela, si vous exposez vos malades, vous allez les envoyer à la mort certaine.» On a attendu 1997, pour faire les premiers témoignages. Lorsque c’est passé à la télévision et à la radio, toutes les femmes sont venues à l’association pour se voir et écouter les témoignages, beaucoup de femmes s’étaient bien habillées et avaient amené avec elles des proches en qui elles avaient confiance. C’était comme une fête, une cérémonie, elles avaient les larmes aux yeux, elles se tenaient la main, et aucune n’est morte d’avoir témoigné.
Très peu d’associations ont pu commencer par la prise en charge des personnes malades car les fonds internationaux et les bailleurs de fonds refusaient d’investir dans la prise en charge. Il était courant de dire aux associations jusqu’à il y a encore deux ou trois ans : «Faîtes de la prévention, on vous trouvera des financements, surtout ne vous lancez pas dans la prise en charge et encore moins dans la recherche de médicaments, vous n’obtiendrez rien, aucun bailleur, aucun pays riche ne voudra se lancer dans les traitements.»
Je me souviens d’avoir assisté à une réunion à Genève, où sans sourciller un expert recueillait l’assentiment général de l’assistance en disant : «La stratégie la plus rentable est d’accepter de sacrifier tous ceux qui sont déjà malades et de mettre tous les investissements disponibles dans la prévention de la transmission mère-enfant, acceptons de perdre une génération et investissons
dans la génération suivante.»
Une personne dans une attitude montrant qu’elle était prête à recopier un nombre à plusieurs chiffres posa la question : avez-vous une idée du nombre d’orphelins que nous aurons si nous réussissons ce programme ? Il faudra attendre encore un ou deux ans pour que quelques programmes acceptent de traiter aussi la mère. Toute attaque de ce type de programme était malvenue et était considéré comme un manque d’expertise en termes de santé publique ou d’économie de la santé. Ainsi, pendant des années on a considéré comme normal de financer la prévention de la transmission de la mère à l’enfant sans sourciller. Les activistes des pays du Nord, les militants, les gens sensibles, les gens tout simplement un peu humains lorsqu’ils étaient choqués de ce type de stratégie sanitaire ne pouvaient pas se faire entendre.