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Burundi… discussion sur les choix des bailleurs de fonds

Journal de bord

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20ans dans la lutte contre le SIDA en Afrique

11/11/2003

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J’ai réalisé trois missions avec Maryline Rébillon et Lennize Pereira-Paulo pour évaluer le travail de 11 associations en Afrique.

Cette mission était commanditée par Ensemble contre le SIDA qui voulait bénéficier d’un regard extérieur et faire le point sur ses actions.

Lorsqu’on entre dans une association en Afrique, on est tout de suite envahi par une émotion qu’on a perdue dans nos pays riches, l’émotion provoquée par la présence en masse de personnes qui attendent assises dehors sur des bancs pendant des heures sans se fâcher, ni se bousculer.
On est saisi par le calme des personnes à l’accueil, leur gentillesse et leur sollicitude, rien à voir avec nos services publics en France qui n’ont pas l’art d’accueillir les plus démunis et les malades, rien à voir non plus avec les hôpitaux en Afrique qui de fait excluent les plus pauvres de la population.
Comme nous l’explique Marie-José, directrice de l’ANSS: » nous avons sollicité l’aide des associations du Nord pour qu’elle nous aide à payer la caution pour les malades qui avaient besoin d’une hospitalisation ».

On a eu « des malades qui à la sortie de l’hôpital se sont retrouvés en prison car ils ne pouvaient pas payer leur séjour ».

Dans un autre pays d’Afrique de l’ouest, un responsable d’association nous explique : «Si tu veux voir un spécialiste à l’hôpital, tu dois utiliser ton champ relationnel, le pauvre, il ne connaît personne, il est obligé de respecter la procédure… lui on lui demande de payer… alors que toi…tu peux ne pas payer le spécialiste si c’est dans ton champ relationnel. Alors tu vois, le pauvre doit être représenté. C’est pour cela que nous l’accompagnons à l’hôpital… pour être sûrs qu’il sera bien traité… De toute façon comme tu l’as vu, il y a des gardes à l’hôpital, il y a ensuite un circuit et souvent il faut savoir lire et s’orienter pour arriver au bon service, si tu ne connais personne, si tu n’as pas d’argent, tu ne peux pas arriver à bon port…»

Une association de personnes vivant avec le SIDA en Afrique, ce sont des personnes qui décident de se réunir pour ne pas mourir me dit un jour une femme. La directrice d’une association au Burkina Faso ajoute :

«Au début, les volontaires de l’association étaient des femmes veuves avec des enfants, elles consacraient cinq jours sur sept à l’association, on ne pouvait même pas leur offrir le carburant pour leur mobylette… On se plaignait de n’offrir que de la parole… puis petit à petit on a entendu les femmes rire, elles se sont senties utiles, elles se sont mis à grossir, elles se sentaient appréciées, elles rencontraient d’autres femmes. Il y en a qui marchaient à peine, elles ont récupéré même sans traitement, bien sûr on s’est battues pour le soin mais même encore maintenant en 2003, on n’a que 26 personnes qui ont des ARV pour X personnes qui participent régulièrement aux activités de l’association.»

L’écoute fait partie du traitement, d’un bout à l’autre de l’Afrique, cette phase
revient assortie d’une autre : on connaît des personnes qui ne sont pas mortes du SIDA mais le silence les a tuées avant que la maladie ne les emporte !

En revanche, cette association qui s’est affichée dès 1993 comme association prenant en charge les personnes vivant avec le VIH, a été vivement critiquée lorsqu’elle a décidé de faire les premiers témoignages pour la télévision.

Les médecins avec lesquels nous travaillions nous ont dit : «Ne faîtes pas cela, si vous exposez vos malades, vous allez les envoyer à la mort certaine.» On a attendu 1997, pour faire les premiers témoignages. Lorsque c’est passé à la télévision et à la radio, toutes les femmes sont venues à l’association pour se voir et écouter les témoignages, beaucoup de femmes s’étaient bien habillées et avaient amené avec elles des proches en qui elles avaient confiance. C’était comme une fête, une cérémonie, elles avaient les larmes aux yeux, elles se tenaient la main, et aucune n’est morte d’avoir témoigné.

Très peu d’associations ont pu commencer par la prise en charge des personnes malades car les fonds internationaux et les bailleurs de fonds refusaient d’investir dans la prise en charge. Il était courant de dire aux associations jusqu’à il y a encore deux ou trois ans : «Faîtes de la prévention, on vous trouvera des financements, surtout ne vous lancez pas dans la prise en charge et encore moins dans la recherche de médicaments, vous n’obtiendrez rien, aucun bailleur, aucun pays riche ne voudra se lancer dans les traitements.»

Je me souviens d’avoir assisté à une réunion à Genève, où sans sourciller un expert recueillait l’assentiment général de l’assistance en disant : «La stratégie la plus rentable est d’accepter de sacrifier tous ceux qui sont déjà malades et de mettre tous les investissements disponibles dans la prévention de la transmission mère-enfant, acceptons de perdre une génération et investissons
dans la génération suivante.»

Une personne dans une attitude montrant qu’elle était prête à recopier un nombre à plusieurs chiffres posa la question : avez-vous une idée du nombre d’orphelins que nous aurons si nous réussissons ce programme ? Il faudra attendre encore un ou deux ans pour que quelques programmes acceptent de traiter aussi la mère. Toute attaque de ce type de programme était malvenue et était considéré comme un manque d’expertise en termes de santé publique ou d’économie de la santé. Ainsi, pendant des années on a considéré comme normal de financer la prévention de la transmission de la mère à l’enfant sans sourciller. Les activistes des pays du Nord, les militants, les gens sensibles, les gens tout simplement un peu humains lorsqu’ils étaient choqués de ce type de stratégie sanitaire ne pouvaient pas se faire entendre.

Un autre jour juste quelques mois plus tard, en 2002, lors d’une réunion en Californie, un représentant de la firme qui produisait une des deux molécules utilisées dans la prévention de la transmission s’exclamait :

«Voilà nous avons un médicament, il s’agit de comprimés qui bloquent la transmission du virus à l’enfant, et vous savez combien cela coûte, le prix d’une tasse de café chez Starbucks, avec cela on peut sauver la vie d’un enfant.»

Personne n’a réagi, comment cet homme pouvait-il utiliser un registre symbolique aussi violent ? Comment pouvait-il réduire la valeur d’une vie humaine à une tasse de café ? La encore rien de prévu pour les mères après l’accouchement. La mère peut mourir, comment pouvons-nous être si déshumanisés pour ne pas broncher lorsqu’on nous dit des choses pareilles.

Irait-on dire une chose pareille dans nos pays en parlant des femmes et des familles ? Irait-on dire à une femme qui accouche en France, on va bloquer la transmission du virus juste avant et pendant votre accouchement, votre bébé a des chances de naître séropositif, quant à vous madame, on ne peut rien pour vous, tâchez de vous débrouiller avec les quelques années qui vous restent à vivre !!!
Comment pouvons-nous accepter une telle barbarie ?

Car c’est de nous qu’il faut parler car ces programmes de prévention de la transmission sont pour la majorité d’entre eux conduits ou supervisés par des blancs puisque ce sont nos pays riches qui sont en charge de l’approvisionnement des médicaments et aussi souvent de la formation des collègues médecins africains. Une des choses les plus importantes dans les associations est pour les volontaires et les bénévoles de pouvoir y trouver à manger, comme l’explique cette directrice d’association à Bobo Diolassou, «Si au moins on peut offrir un repas, les personnes volontaires peuvent faire de l’écoute et conduire des activités, sinon les gens qui viennent pour nous assister ont des vertiges et ils ne peuvent rien faire du tout… que la personne puisse venir prendre une ration a du coup un impact sur le conseil, l’écoute… malheureusement on aimerait augmenter le nombre de rations et c’est le nombre de bénéficiaires qui augmentent !»

Ce point pose question dans les associations : doit-on partager le peu qu’il y a un et réduire régulièrement les rations ou au contraire garder les rations de base et réduire le nombre de bénéficiaires ?

Il existe bien sûr ça et là des guides d’utilisation des fonds mais je n’en ai jamais vu aucun qui aborde cette question si difficile à résoudre pour les responsables d’association. Un juriste qui travaillait en tant que tel dans une association a répondu en partie à ma question : «De fait, dans nos associations qui ont peu de ressources c’est à dire qui n’ont pas les moyens nécessaires pour répondre à tous les besoins, on explique que ce que chaque personne reçoit cela lui est utile mais on lui explique aussi qu’au delà de la nourriture ou des vivres à partager, ce qu’elle reçoit c’est un symbole du partage de la solidarité. Ce qu’elle reçoit c’est provisoire. Les gens viennent tous pour la même chose.. alors réserver les vivres aux personnes qui sont antérieures, qui sont arrivés avant… cela n’aurait pas trop de sens. Maintenant c’est vrai on «saupoudre», on donne quelque chose qui ne correspond plus aux véritables besoins… mais au moins le message est clair… ici dans l’association on leur dit : vous êtes tous logé(e)s à la même enseigne !»

Dans un autre pays, les responsables d’une association étaient si démunis qu’ils n’ont pas su prendre de décision et en attendant les stocks de nourriture ont été mangés par les termites. Un éducateur nouvellement recruté m’a dit que c’était trop dur pour lui de faire les choix de répartition, il n’avait reçu aucune formation sur ces questions de partage de la pénurie et avait bloqué sur la question.
Nous reviendrons sur cette question lorsque nous aborderons la question des critères d’éligibilité d’accès aux antirétroviraux… Certaines associations bénéficient de dons programmatiques ce qui signifie que les associations dépendent de plusieurs bailleurs de fond et de donateurs qui leur envoient des fonds en fonction non pas de la demande des associations mais en fonction des coups de cœur de leurs donateurs ou membres du conseil d’administration lorsqu’il s’agit de fondations adossées à de grandes entreprises.

Tel bailleur de fonds va financer la scolarité des filles de 9 à 13 ans, tel autre l’insertion professionnel des garçons âgés de 15 à 18 ans, tel bailleur prend en charge les frais de santé des jeunes enfants de moins de 6 ans à l’exception du VIH. Comme l’explique l’équipe d’un orphelinat au Burundi : «Ce sont les bailleurs qui écrivent le contrat et choisissent ce qu’ils financent en fonction de leur philosophie. Tout est codifié, les uniformes pour aller à l’école vont souvent avec l’achat des cahiers et des fournitures. La ration alimentaire… On voit là les limites des modèles de distribution et ou de contrôle fondés sur une approche en termes de rationalisation budgétaire. Ce sont les bailleurs qui font un peu la loi, par exemple il y a des bailleurs qui nous disent : nous on veut financer seulement les filles ou bien les garçons de tel ou tel âge, d’autres disent… moi je ne m’occuperai que des enfants qui sont dans les familles, ou dans la rue ou dans les centres d’accueil…
Le problème pour nous, c’est qu’on doit s’occuper de tous ceux qui arrivent et les bailleurs nous amènent à faire des différences de prise en charge plus ou moins bien vécues par les équipes . Par exemple comment expliquer qu’il y aura un don d’habits pour les garçons et un programme d’éducation pour les filles. Il arrive donc que des besoins spécifiques, comme par exemple les souliers qui valent très chers au Burundi (10 dollars).»

En nous rendant dans une maison gérée par une adolescente, cheffe de famille qui partageait deux pièces avec ses quatre frères et sœurs, et en lui demandant ce dont elle avait besoin et à l’achat duquel on pouvait participer, son éducatrice nous a dit que comme elle allait à l’école, elle se sentirait plus confortable si elle pouvait disposer de serviettes hygiéniques jetables.

Ce matériel d’hygiène de base est très cher en Afrique et il est toujours oublié dans les budgets. Lorsque l’on vit dans sa famille, on peut exposer son linge dans la cour intérieure de la maison mais cette jeune fille vivait dans une cour regroupant quatre maisons dans laquelle elle ne pouvait disposer d’aucune intimité dans le séchage de son linge.

Ayant nous-même visité la cour, nous avons pu constater la vulnérabilité à laquelle était exposée cette jeune fille en termes d’exposition au regard des autres. Elle avait peur des tentatives d’intrusion des hommes dans la maison, l’association avait eu du mal à trouver cette maison pour cinq enfants sans adultes, il avait fallu négocier, payer plus que le prix demandé, avancer plusieurs mois d’avance, le propriétaire avait peur de ne pas recouvrer ses loyers.

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