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La France de mon enfance

10/08/1962

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Un été ma nourrice perd sa propre mère qui vient mourir à la maison. J’aime cette vieille dame. Elle est malade, il faut la nourrir, la changer. Elle va mourir, on le sait, tous les jours on passe la voir dans la pièce qui est devenue sa chambre de malade. Le jour où elle meurt, nous sommes en train de jouer dans la cour, on nous appelle, on s’assied tous sur les marches d’escalier et on se tait. Ma nourrice a les yeux rougis mais elle s’active et nous dit ce que nous pouvons faire pour l’aider comme d’aller chercher de l’eau, surveiller le feu, aller chercher au premier étage une chemise de nuit et des serviettes de toilettes.

Elle déshabille la morte et dit qu’il va falloir brûler les draps à cause de la gangrène. Elle lave sa mère en nous demandant de rester assis sur les marches d’escalier pour lui tenir compagnie : «J’ai besoin de vous mes petiots, restez-là à vous amuser sans trop faire de bruit, mais jouez ici car il me faut mes petits près de moi ». Nous sommes honorés par cette demande et nous remplissons de manière merveilleuse notre tâche.

Elle nous sert notre collation sur les marches de l’escalier. Nous faisons bloc, groupe, et nous lui apportons l’énergie enfantine dont elle a besoin pour accomplir ses tâches de préparation de la mise en bière. Ma nourrice est passionnée par les enterrements. Elle m’emmène souvent avec elle, on y va en vélo, en autocar, à pied. Elle aime rencontrer les gens, participer aux rituels et repas d’enterrement.

Combien de fois ne l’ai-je entendue critiquer ce fameux repas qui se doit d’être copieux et riche. Je me souviens l’avoir entendue plusieurs fois dire : « eh bien, il doit se retourner dans sa tombe de voir qu’on le traite ainsi, si c’est pas malheureux de n’avoir servi que deux plats après le bouillon ».

Ce repas se doit d’être un hommage à la personne décédée, il se doit d’être succulent. En général, ce sont les femmes qui le préparent toute la matinée avant l’enterrement et d’autres qui le font cuire pendant que les invités sont à la messe et au cimetière. Les pleurs sèchent au dessus des fourneaux. On doit servir en général un consommé, une viande bouillie, de la volaille et des desserts. Entre chaque plat, on évoque la ou le défunt. On se doit d’égrener les souvenirs drôles, on se doit de rire pour aider le défunt à faire le voyage vers son lieu de repos. Si on ne rit pas, il ne pourra pas bien nous quitter. Si on ne mange pas bien, il ne pourra pas faire bon voyage, c’est du moins ce que m’enseigne ma nourrice. Le dernier repas doit être grandiose.

On va donc faire ainsi tous les enterrements de la région et moi je vais m’y habituer car je vais découvrir des gens qui rient, des gens qui pleurent, des gens qui mangent, des gens qui sont pleins d’affection. Un jour ma nourrice va m’emmener en cachette avec elle dans un entrepôt de pierres tombales. On visite chaque pierre et je l’entends soudain s’extasier sur une belle pierre de granit rose et en demander le prix. Elle me fait m’approcher et me demande ce que j’en pense. Cette pierre est la plus belle de tout le magasin. Elle me dit : « je pense que je vais m’acheter celle-là, mais je vais essayer de faire baisser le prix, surtout tu ne dis rien à la maison. Si tu le désires, je vais prendre un tombeau à trois places, comme cela toi aussi tu auras une place près de moi. ». Me voilà donc dotée d’une place pour plus tard et d’un secret que je ne trahirai jamais.

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