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Agir en situation d’incertitude

Catherine Tourette-Turgis

Journal de bord

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Habilitation à Diriger des Recherches - HDR

20/04/2023

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Dans cette époque de catastrophe sanitaire avec son corollaire d’incertitudes, les thérapeutes, les aidants, les médecins, tous ceux qui tentaient d’agir devaient en plus de leurs fonctions endosser le rôle de « chercheur-inventeur-créateur », au sens où personne n’agissait selon un référentiel de tâches établies ou prescrites. Ce rôle et cette responsabilité de chercheur advenaient dans des situations extrêmes de vulnérabilité et de menace vitale pour ceux dont il fallait prendre soin et qui étaient en train de mourir sous nos yeux.

Face à l’absence de données de la littérature, j’ai pris l’habitude de documenter les situations et les terrains, sur lesquels d’une certaine manière je travaillais et interagissais avec autrui dans une position « d’enquête «  permanente au sens de Dewey (2006). Les conditions d’exercice d’une certaine écoute ou d’un certain travail de formation, dans certains contextes, nécessitaient de la part de ceux qui désiraient s’y engager des réaménagements assez considérables.

La quantification de l’incertitude en médecine est régulièrement examinée par les sciences sociales (Porter, 1986 ; Mattews, 1995) et la sociologie de la médecine a rencontré régulièrement cette problématique (Carricaburu et Ménoret, 2004). L’incertitude en médecine est « un nouveau cadre cognitif qui va apparaître après la seconde guerre mondiale pour décrire la rémission et des états de guérison encore très précaires  notamment  dans  le cancer » (Ménoret, 2010, p. 130), mais quand va apparaître le sida, dans les années quatre- vingt, penser et agir en situation d’incertitude vont devenir l’ordinaire et le quotidien de tous les acteurs de l’épidémie. Nous avions le sentiment de ne pas disposer de connaissances ou de compétences suffisantes pour agir.

Les chercheurs en sciences humaines et sociales avaient la tâche d’étudier et aussi de comprendre les circonstances dans lesquelles l’épidémie se diffusait dans certains groupes sociaux, les réponses des populations, leurs réactions, les représentations des personnes atteintes, les styles de vie spécifiques à des groupes comme les utilisateurs de drogue par voie intraveineuse, les homosexuels masculins et les prostitués de deux sexes. L’éducation, la formation des soignants, les modèles d’intervention étaient considérés comme des modèles opératoires de mise en œuvre d’actions pensées à partir des résultats des recherches conduites en sciences sociales.

Cela a posé d’emblée en France des questions sur le faible engagement de notre champ disciplinaire. Il n’y a eu en France par exemple, aucune unité de recherche en sciences de l’éducation, à la différence des pays anglo-saxons, ayant choisi l’objet sida comme champ de recherches et il a fallu attendre 1996 pour que la Revue Française de Pédagogie consacre un numéro spécial à l’éducation à la santé comprenant un article sur le sida. Cet article rédigé par Manderscheid, Galichet et Aventurin décrit un dispositif pédagogique proposant aux élèves de réagir face à des propos de séropositifs et de les faire réfléchir sur ces propos, tout en leur permettant de redécouvrir des grands textes classiques de la littérature à la lumière de problèmes actuels. Ce numéro spécial est un numéro sur le positionnement des sciences de l’éducation face à l’éducation à la santé. On peut s’étonner de l’évitement de l’objet « sida » comme objet de recherche en sciences de l’éducation alors que ses composantes éducatives et préventives sont très présentes dans les pays anglo-saxons en sciences de l’éducation.

En revanche la sociologie et la psychologie ont donné lieu très tôt dans leur histoire à la création d’un champ spécifique celui de la santé. Comme le rappelle Jodelet (2006, p. 219)

« La psychologie de la santé a connu, depuis les années 1980, un fort développement en Europe, faisant écho à l’expansion et l’institutionnalisation de cette discipline aux États-Unis, dix ans plus tôt ». La sociologie médicale est née dès 1948 notamment avec les contributions de T. Parsons sur les rôles sociaux du médecin et du patient. Aussi « la maladie, signifiant social, fait objet de discours qui, variant en fonction de l’histoire et selon les insertions sociales et groupales des acteurs, donne sens et orientations aux pratiques privées et institutionnelles » (Jodelet, 2006, p. 220).

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