Le sida a été l’objet d’un grand déploiement de groupes de paroles à visée thérapeutique. La pratique de l’animation de groupes de malades a connu un essor disproportionné par rapport aux autres maladies plus silencieuses au niveau social. Cette demande de groupes est à mettre en lien avec le rôle actif des associations de malades dans la lutte contre le sida. Face à l’incurable, les rencontres de groupes animées par des personnes, non seulement ayant une formation pour le faire, mais en général cooptées de par leur proximité identitaire avec une des problématiques du sida, par exemple le choix de thérapeutes, homosexuels ou militants, avait un objectif clinique assumé : ne pas mourir seuls ou ne pas laisser mourir les malades dans la solitude. D’emblée la clinique de l’animation des groupes s’est organisée autour d’une structuration d’un mode de présence à autrui, reposant sur une alliance thérapeutique, exigeant de la part de l’animateur de ce type de groupes l’adhésion interne au principe de non- abandon et l’engagement à une présence en phase « terminale » . Les seules fautes graves d’un animateur de groupes de malades du sida à cette époque étaient le silence, et l’abandon.
Ayant été formée à la psychosociologie des groupes (Ardoino, Anzieu, Kaes), lorsque j’ai animé mes premiers groupes de malades, j’ai été amenée, à titre clinique, à introduire des modifications portant sur le cadre, les règles, et les grandes étapes qui jalonnent la construction et l’évolution d’un dispositif groupal. Mes contributions à la clinique des groupes de malades ont donné lieu à plusieurs publications portant principalement sur la question du cadre, son réaménagement, le vécu contre transférentiel des animateurs de ces groupes, l’illusion groupale (Anzieu), la co-animation de ces groupes avec des malades pour renforcer la capacité de contenance du dispositif groupal (Giust Desprairies, 2004 ; Brun, 2007), les enjeux de certaines thématiques systématiquement abordées par les participants ayant trait à la découverte de sa séropositivité, aux thérapeutiques, à la mort, à la sexualité, au deuil des partenaires, à la discrimination et à la stigmatisation. Ces publications sont :
- (2006 avec L.Pereira Paulo). Guide d’animation des ateliers MICI (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin), Association François Aupetit, 60 pages.
- (2007 avec L.Pereira Paulo). Guide d’animation des ateliers « estime de soi » en direction des personnes séropositives au VIH. Paris, France : Comment Dire, 72 pages.
- (2012). Le maintien d’une posture clinique dans l’animation des groupes de malades. Cliopsy, 7, 61-77.
J’en résume quelques extraits ci-après pour montrer les ajustements devant être introduits et explicités dans la clinique des groupes de sujets malades.
La question du cadre et son réaménagement
Poser un cadre et des règles fait partie du travail de l’animateur d’un groupe. Nous entendons souvent dans les groupes de paroles l’énoncé par les animateurs tantôt de règles, tantôt d’interdits. D’emblée je me suis opposée à ces énoncés dans les groupes de malades où la transgression était concomitante à leur maladie, comme par exemple dans le VIH et l’hépatite C (usage de drogue, homosexualité, contamination en prison etc..). Par ailleurs pour ce qui concerne les malades du sida, il m’a semblé que comme ils étaient à la fois l’objet d’une agression somatique et sociale, leur interdire l’agression verbale ne pouvait que mettre l’animateur en porte à faux. En effet, l’animateur est aussi celui qui justement ne peut rien faire ou n’a rien pu faire contre l’agression somatique ou sociale. Enjoindre un groupe à adhérer à un pacte de non-agression l’empêche d’élaborer à la fois sur son expérience d’avoir été agressé et aussi sur son désir en retour parfois de se venger à des fins défensives*. De plus ma pratique clinique d’animation d’ateliers d’estime de soi, pour les personnes séropositives, m’a montré à quel point les personnes séropositives étaient de fait souvent exposées à des ratés dans leur prévention. Aussi poser une règle de non-agression n’a pas de sens, si on veut travailler l’expérience vécue des difficultés réelles et concrètes de prévention.