logo catherine tourette turgis

Suivre ce blog

L’accompagnement des groupes de malades : réinterroger la psychosociologie des groupes

Journal de bord

>

Habilitation à Diriger des Recherches - HDR

20/04/2023

Twitter
LinkedIn
Email

Le sida a été l’objet d’un grand déploiement de groupes de paroles à visée thérapeutique. La pratique de l’animation de groupes de malades a connu un essor disproportionné par rapport aux autres maladies plus silencieuses au niveau social. Cette demande de groupes est à mettre en lien avec le rôle actif des associations de malades dans la lutte contre le sida. Face à l’incurable, les rencontres de groupes animées par des personnes, non seulement ayant une formation pour le faire, mais en général cooptées de par leur proximité identitaire avec une des problématiques du sida, par exemple le choix de thérapeutes, homosexuels ou militants, avait un objectif clinique assumé : ne pas mourir seuls ou ne pas laisser mourir les malades dans la solitude. D’emblée la clinique de l’animation des groupes s’est organisée autour d’une structuration d’un mode de présence à autrui, reposant sur une alliance thérapeutique, exigeant de la part de l’animateur de ce type de groupes l’adhésion interne au principe de non- abandon et l’engagement à une présence en phase « terminale » . Les seules fautes graves d’un animateur de groupes de malades du sida à cette époque étaient le silence, et l’abandon.

Ayant été formée à la psychosociologie des groupes (Ardoino, Anzieu, Kaes), lorsque j’ai animé mes premiers groupes de malades, j’ai été amenée, à titre clinique, à introduire des modifications portant sur le cadre, les règles, et les grandes étapes qui jalonnent la construction et l’évolution d’un dispositif groupal. Mes contributions à la clinique des groupes de malades ont donné lieu à plusieurs publications portant principalement sur la question du cadre, son réaménagement, le vécu contre transférentiel des animateurs de ces groupes, l’illusion groupale (Anzieu), la co-animation de ces groupes avec des malades pour renforcer la capacité de contenance du dispositif groupal (Giust Desprairies, 2004 ; Brun, 2007), les enjeux de certaines thématiques systématiquement abordées par les participants ayant trait à la découverte de sa séropositivité, aux thérapeutiques, à la mort, à la sexualité, au deuil des partenaires, à la discrimination et à la stigmatisation. Ces publications sont :

  • (2006 avec L.Pereira Paulo). Guide d’animation des ateliers MICI (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin), Association François Aupetit, 60 pages.
  • (2007 avec L.Pereira Paulo). Guide d’animation des ateliers « estime de soi » en direction des personnes séropositives au VIH. Paris, France : Comment Dire, 72 pages.
  • (2012). Le maintien d’une posture clinique dans l’animation des groupes de malades. Cliopsy, 7, 61-77.

J’en résume quelques extraits ci-après pour montrer les ajustements devant être introduits et explicités dans la clinique des groupes de sujets malades.

 

La question du cadre et son réaménagement

 

Poser un cadre et des règles fait partie du travail de l’animateur d’un groupe. Nous entendons souvent dans les groupes de paroles l’énoncé par les animateurs tantôt de règles, tantôt d’interdits. D’emblée je me suis opposée à ces énoncés dans les groupes de malades où la transgression était concomitante à leur maladie, comme par exemple dans le VIH et l’hépatite C (usage de drogue, homosexualité, contamination en prison etc..). Par ailleurs pour ce qui concerne les malades du sida, il m’a semblé que comme ils étaient à la fois l’objet d’une agression somatique et sociale, leur interdire l’agression verbale ne pouvait que mettre l’animateur en porte à faux. En effet, l’animateur est aussi celui qui justement ne peut rien faire ou n’a rien pu faire contre l’agression somatique ou sociale. Enjoindre un groupe à adhérer à un pacte de non-agression l’empêche d’élaborer à la fois sur son expérience d’avoir été agressé et aussi sur son désir en retour parfois de se venger à des fins défensives*. De plus ma pratique clinique d’animation d’ateliers d’estime de soi, pour les personnes séropositives, m’a montré à quel point les personnes séropositives étaient de fait souvent exposées à des ratés dans leur prévention. Aussi poser une règle de non-agression n’a pas de sens, si on veut travailler l’expérience vécue des difficultés réelles et concrètes de prévention.

Nous sommes dans un face à face dans un groupe, où d’autres sont aussi dans un face à face, et s’il est difficile pour l’animateur de groupe, en situation d’écoute, de garder ses facultés associatives, le travail lui est grandement facilité si justement, grâce à un cadre non rigide, les facultés associatives des participants viennent relancer celles de l’animateur. C’est en ce sens que dans certains groupes, notamment tous les groupes où prédomine dans la vie des participants une vulnérabilité réelle, j’ai tenté de formaliser dans mes écrits** l’importance de renoncer à la maîtrise et encore plus de renoncer à toute maîtrise sur le cadre.  C’est parfois difficile d’être dans un groupe où de fait, il n’y a rien à maîtriser. Il y a à rester attentif, ouvert aux mouvements qui viennent faire ressac sans jamais emporter le cadre, car emporter le cadre c’est tout détruire, mais si cela n’est pas rigidifié, les participants d’un groupe ne viennent pas l’attaquer. Ils viennent au contraire s’y reposer ou y chercher refuge, si ce dernier est suffisamment hospitalier pour abriter leur détresse et leur fatigue. Dans la pratique, cela se traduit par faire attention à ce que le désir de contenir le groupe ne se transforme pas dans la mise en place d’un dispositif, qui à trop vouloir contenir, exerce une contention sur le groupe.

La règle de l’engagement

 

Il est difficile de demander à des participants de s’engager à venir à tous les ateliers lorsqu’on a affaire à des personnes malades, qui à tout moment peuvent être exposées à un épisode de discontinuité somatique, à des personnes toxicomanes pour lesquels la vérité de l’instant n’est pas la vérité d’après, surtout quand ces derniers veulent vérifier, pour se battre contre la peur de la dépendance, qu’ils peuvent auto contenir leur propre vie sans l’aide du groupe. L’animateur a pour tâche de dépasser la blessure narcissique que peut lui causer l’absence des uns ou des autres, et le groupe doit pouvoir continuer à assurer ses fonctions de contenant auprès de tous. Aussi nous avons modifié la règle de l’engagement en la réduisant à une simple obligation pour les animateurs de groupes de malades : mettre des mots sur l’absence ou inviter les participants à en mettre. Plutôt que d’engagement, il nous semble préférable de parler de lien proposé par les animateurs de l’atelier et par les participants. Pour ce qui me concerne plusieurs fois j’ai saisi à quel point le fait de déléguer à quelqu’un du groupe la tâche d’appeler la personne malade, à son domicile ou à l’hôpital, pour lui parler du groupe et de la séance de travail allégeait la culpabilité des participants du groupe, leur anxiété causée par les identifications projectives (C’est vrai à tout moment moi aussi je peux  tomber  malade) » leur peur de l’abandon (Quand je serai malade, on ne me laissera pas seul »).

 

Le vécu de la séparation groupale

 

Les fins de groupe, qui confrontent ordinairement l’animateur de groupe au deuil de son groupe, sont douloureuses dans le cas de groupes de malades, car l’animateur est envahi par la peur de la mort réelle des participants de ce groupe. Ainsi plusieurs fois nous avons appris, par les autres participants, l’état critique d’un des participants d’un groupe que nous avons animé et constaté que les traces mnésiques tendaient à perdurer. Ces décès dans l’après coup de participants de groupes de malades remettent en question le vécu de la séparation groupale, au sens où dans les groupes de personnes valides, on rend les participants à la réalité, alors que dans les groupes de malades ce fantasme psychique, qui permet la séparation, est souvent entravé par la menace de mort qui pèse et qui rôde et donne une tonalité anxiogène aux rituels de fin de groupe.

 

J'ai envie de suivre ce blog

Chapitre précédent

Chapitre suivant

Suivez moi sur

Je désire m'abonner à ce blog