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De l’expérience de l’accompagnement à l’accompagnement comme objet de recherche

Journal de bord

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Habilitation à Diriger des Recherches - HDR

20/04/2023

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J’ai vécu mon expérience clinique dans le domaine du sida aussi comme une recherche, au sens où il n’existe pas une expérience pure de l’accompagnement : la manière dont j’ai dialogué avec les malades et observé les processus qui se jouaient dans ces rencontres singulières dépendait aussi du cadre conceptuel dans lequel je situais mon écoute. Or si ces concepts sont des instruments d’interprétation qui orientent l’écoute, ils sont aussi des outils qui nous aident à comprendre ce que l’expérience clinique nous fait voir. J’essaierai donc, dans les paragraphes qui suivent, d’explorer les significations que prend l’accompagnement quand on se place non plus du point de vue de la clinique, mais du point de vue de la recherche. Une chose néanmoins me tient à cœur et je tiens à l’assumer. J’ai écrit dix ouvrages sur la pratique du counseling pour les professionnels* et les malades et je voudrais expliquer en quoi cette production a aussi nourri mon itinéraire de chercheuse. En effet, chaque fois que j’écrivais un ouvrage clinique, j’en discutais avec les malades et les soignants, et la plupart du temps je recevais des réactions du type : « Oui c’est tout à fait cela ou bien non ce n’est pas cela ! », je demandais alors si on pouvait m’en dire plus et je prenais en compte les variations, les nouveaux éléments, les commentaires, voire les visions du monde qui m’étaient proposées. La rédaction d’ouvrages cliniques a donc participé à mon travail de chercheuse et ce d’autant plus que j’ai rédigé certains écrits pour deux types de publics, les soignants et les patients, mais aussi pour les chercheurs, au sens que ce que lisent les uns à travers un même texte n’est pas ce qu’en lisent les autres.

 

La mobilisation de plusieurs traditions cliniques

 

Si mes travaux ont intégré les grands thèmes du corpus freudien en y intégrant ceux de Ferenczi sur la question du traumatisme, ils se sont démarqués de la psychanalyse par les modifications techniques qu’ils ont engendrées. En effet, il ne s’agissait pas de proposer une cure analytique type à des patients atteints de VIH à dix-huit mois de leur décès. Il s’agissait de leur proposer un dispositif de soutien pouvant s’opérer dans un temps bref et dans lequel prédominait une « offre de soutien des fonctions du moi » (Tourette-Turgis, 1996). Plusieurs d’entre nous**, à l’époque de formation psychanalytique freudo-lacanienne et désirant pratiquer le counseling, se sont mis à étudier les écrits de Ferenczi, notamment ceux qui concernent les modifications introduites dans la technique analytique et qui font une large part aux réactions affectives de l’analyste et à sa prise en compte dans son travail. Cela est d’autant plus intéressant à observer que les propositions de modifications dans la technique étaient survenues dans le contexte de la Première guerre mondiale. En effet, face à l’exclusion extrême, dans lesquels se trouvaient les malades du sida, relire l’œuvre et les textes cliniques de Ferenczi sur l’acquisition du tact, le timing des interventions et les silences de l’analyste ont considérablement aidé une génération de jeunes cliniciens engagés dans le sida à accepter la possibilité de variations dans le dispositif clinique.

 

J’ai repris dans Rogers les fondements théoriques pour asseoir une relation d’aide qui, en faisant un pari sur la mobilisation du potentiel de l’autre, répond assez bien à la demande des personnes malades qui se battent avec leur propre potentiel et les ressources qu’ils mobilisent en eux-mêmes pour faire face à l’adversité. J’ai repris dans Kohut (qui refuse la notion d’adaptation) le concept d’intériorisation qui traduit le passage d’une régulation externe à une régulation interne et assure au moi une indépendance relative par rapport au monde extérieur.

Kohut propose un modèle théorique qui allie le pulsionnel et le relationnel et comme Winnicott, il affirme que la source de la pathologie est un arrêt du développement causé par une défaillance dans l’environnement, en tant que fonction. Sa théorie du déficit structural, qui en découle, s’applique à montrer que le sujet, qui y est exposé, est enclin à développer clivages et défenses pour protéger ce qui reste du soi (self). Les travaux de Kohut étaient très utilisés chez les psychothérapeutes d’inspiration psychanalytique qui exerçaient aux États- Unis auprès des malades du sida. Cela n’est pas sans rapport avec la préoccupation de Kohut pour l’humanisation et la déshumanisation, elle-même en lien avec ce qu’il avait lui-même vécu au moment du nazisme. Kohut (1977) pose aussi l’empathie comme une condition préalable nécessaire pour avoir un rôle de soutien thérapeutique. L’empathie génère le sentiment d’être reconnu dans son expérience par un autre être humain. Cette expérience a une valeur en soi, elle modifie chez la personne sa relation aux ressentis corporels, aux aspects intimes dans la relation à autrui. Chez Kohut comme chez Winnicott, l’empathie de l’aidant ouvre, permet mais elle ne suffit pas. En effet, une grande part du travail reste à effectuer par l’environnement qui doit répondre et satisfaire, par des actions concrètes et des réponses affectives, les besoins de survie du sujet blessé, rejeté et en souffrance. La relation réelle et les capacités communicationnelles de l’entourage du malade sont donc essentielles.

 

 

*(2009) avec L. Pereira Paulo et C. Bagnis). L’éducation thérapeutique dans la maladie rénale chronique : le soignant pédagogue. Paris, France : Comment Dire.

(2008). La consultation d’aide à l’observance thérapeutique des traitements de l’infection à VIH. L’approche MOTHIV : Accompagnement et éducation thérapeutique. Paris, France : Comment Dire.

(2007) avec L. Pereira Paulo). Guide d’animation des ateliers « Estime de soi » en direction des personnes séropositives au VIH. Paris, France : Comment Dire.

(2002) avec M. Rébillon). Mettre en place une consultation d’observance aux traitements contre le VIH/sida – De la théorie la pratique, Paris, France : Comment Dire.

(2001 avec M. Rébillon). Infection à VIH: Accompagnement et suivi des personnes sous traitement antirétroviral, Paris, France : Comment Dire.

(1998). Trithérapies: Guide de counseling, Paris, France : Comment Dire.

(1997). Infection VIH et Trithérapies, Guide de counseling, Paris, France : Comment Dire. (1996). La rétinite à CMV, Guide de counseling, Paris, France : Comment Dire.

(1996). Le Counseling: théorie et pratique, Paris, France: Presses Universitaires de France, Coll. Que Sais-Je ?, 128 p.

Ouvrage traduit en russe (2004).

(1993). Guide de prévention: comment conduire des actions en Éducation pour la santé sur l’infection par le VIH auprès des jeunes en milieu scolaire, Paris, France : Comment Dire / Agence Française de Lutte contre le Sida.

** Thèse de 3ème cycle de Claude Guilbert : Les enjeux psychiques dans la prévention du sida, sous la direction de Monique Schneider, UFR de psychologie clinique, Paris VII, Diderot, 2005.

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